Jaha Dukureh : militante gambienne contre les mariages d’enfants et les mutilations sexuelles féminines.

Jaha Dukureh est une militante gambienne qui œuvre pour l'élimination des mariages d’enfants et des mutilations sexuelles féminines (MSF) (1). Elle est la directrice exécutive et la fondatrice de Safe Hands for Girls (2). Jaha Dukureh a été nommée pour le prix Nobel de la paix en 2018. Elle est aussi ambassadrice de bonne volonté régionale d’ONU Femmes pour l’Afrique et a figuré sur la liste Time magazine des 100 personnes les plus influentes en 2016. En 2017, The Guardian a produit un long-métrage sur sa vie, intitulé Jaha's Promise, et le magazine New African l’a désignée parmi les 100 personnalités africaines les plus influentes.

Jaha Dukureh© UN Women / Ryan Brown

Le combat d’une survivante

L’activisme de Jaha Dukureh est une bataille très personnelle. Elle a, elle-même, survécu aux violences qu’elle dénonce. Elle subit des mutilations sexuelles alors qu’elle n’est âgée que d’une semaine et grandit inconsciente de cette pratique.
À 15 ans, elle est forcée de se marier avec un inconnu à New York. A ce sujet, elle affirme : ”Je pense qu’un mariage précoce est ce qu’il y a de plus difficile à endurer pour une fille dans sa vie. Quand on force une fille à se marier, on donne à un homme le droit de la violer au quotidien.”
Dans de nombreuses communautés, les mariages forcés et les MSF vont de pair parce que leurs membres croient que ces pratiques accroîtraient leur éligibilité au mariage. Selon le rapport « Progrès vers la réalisation des Objectifs de Développement Durable : gros plan sur l’égalité de genre 2023 », encore une jeune fille sur cinq dans le monde est mariée avant l’âge de 18 ans (3).

Déterminée à fuir un mariage forcé

Jaha Dukureh parvient à échapper à l’homme qui lui a été imposée au bout de deux mois d’union.  Accueillie par son oncle et sa tante dans le quartier du Bronx, il lui est difficile de reprendre le contrôle de sa vie, notamment de retourner à l’école. En effet, sa tante s'y oppose, considérant, selon les traditions, que Jaha Dukureh n’est plus une fille mais une femme du fait de son mariage. Sans tuteur.trice légal.e, les écoles refusent son inscription. A force de persévérance, elle finit par être admise dans un lycée où elle obtient son diplôme. Par la suite, elle déménage à Atlanta, en Géorgie, se remarie, poursuit ses études et obtient un Bachelor en Business Administration ainsi qu’un Master en Gestion des organisations à but non lucratif.

Une volonté de briser le cycle

Alors qu’elle proteste contre les mariages d'enfants pour la première fois à seulement 10 ans, son engagement dans la lutte contre les MSF est plus tardif.
Enceinte de sa fille, issue de son deuxième mariage, Jaha Dukureh est profondément ébranlée par l’idée que son enfant puisse subir les atrocités dont elle a été victime. C'est dans ce contexte qu’elle commence à dénoncer ces violences.
“Je voulais que ma fille n’ait jamais à subir la même chose que moi. Je savais également qu’il y avait des millions d’autres filles, comme ma fille et moi, sans personne pour les défendre. Si ce n’était pas moi, alors qui le ferait ?” a déclaré Jaha Dukureh.
Ainsi, elle commence à écrire un blog où elle parle de sa propre expérience, puis crée un groupe de soutien à Atlanta pour les femmes ayant vécu les mêmes traumatismes. En 2014, elle lance une pétition sur change.org demandant au Président Obama de mener une enquête sur la prévalence des MSF aux États-Unis. Elle participe également au tout premier Sommet pour mettre fin aux MSF organisé en collaboration avec l’Institut des États-Unis pour la paix.

Safe Hands for Girls

En 2013, elle fonde Safe Hands for Girls qui lutte contre les MSF et le mariage des enfants. L’ organisme associe des activités de terrain à des actions de plaidoyer de haut niveau en Gambie, au Sierra Leone et à Atlanta aux États-Unis.
Son organisation est très attachée à faire disparaître l’idée selon laquelle les mutilations sexuelles féminines sont une pratique religieuse. Pour Jaha, les MSF “n’ont rien à voir avec la religion et il ne s’agit pas non plus d’une question de classe sociale ou du niveau d’éducation”. Elle affirme : "J’ai vu certaines des personnes les plus éduquées pratiquer des mutilations sexuelles féminines parce qu’elles pensent que cela fait partie de leur culture.”
En Gambie, elle a organisé la première formation à l’intention des dirigeants religieux en 2015. Bien que de nombreux dirigeants religieux aient initialement été partisans des MSF, ils ont ensuite pris la décision de prononcer une Fatwa (4) contre ces pratiques après avoir suivi la formation.

Permettre aux survivantes de changer leurs sociétés

Jaha Dukureh prône l’idée qu’il est nécessaire de fournir les ressources directement aux communautés pour accomplir un travail de sensibilisation. Les jeunes filles ont un rôle clé à jouer. Elle a déclaré : “Les femmes et leurs communautés sont plus que capables de proposer des solutions qui contribueront réellement à éradiquer les mutilations sexuelles féminines. Chaque communauté est différente ! Les raisons pour lesquelles elles pratiquent les mutilations sexuelles féminines sont différentes !”.

Lutter contre les mutilations sexuelles féminines pour atteindre l’égalité de genre 

Pour Jaha Dukureh, l’un des axes les plus importants dans la lutte contre les MSF est la lutte contre la désinformation. L’idée persiste aujourd’hui que de telles violences sont réalisées uniquement par des personnes en Afrique qui ne seraient pas “éduquées” ou “civilisées”. Toutefois, l’on retrouve la pratique des MSF aux quatre coins du globe, en Asie du Sud-Est, en Afrique, au Moyen Orient mais aussi en France ou aux Etats-Unis. Celles-ci sont généralement effectuées entre la petite enfance et l’âge de 15 ans. Elles ne présentent aucun avantage pour la santé mais leurs conséquences immédiates et à long terme sont nombreuses : infections et cicatrices anormales, douleurs invalidantes ou décès.
En plus de la violence physique, cette pratique laisse des cicatrices psychologiques profondes qui ont un impact sur la vie des femmes et de leur descendance. On estime que plus de 200 millions de jeunes filles et de femmes, toujours en vie, ont été victimes de mutilations sexuelles (5).

La lutte contre les MSF est une ligne essentielle de la lutte pour les droits des femmes et de l'élimination des violences faites aux femmes et aux filles.
Assurer aux filles et aux femmes de pouvoir disposer du choix et du contrôle de leur vie et de leurs corps permet leur autonomisation et est un enjeu inhérent au combat pour l’égalité de genre.

Comme déclaré par Jaha Dukureh : “Il n’ y aura pas d’égalité tant que les filles ne pourront pas grandir en étant seules maîtresses de leurs corps et de leur avenir. Je souhaite voir le jour où plus aucun parent ne prendra de décision qui affectera et limitera la vie de ses filles. Les filles d'Afrique et du reste du monde ont besoin de savoir que leur avenir est plus grand qu'elles ne l'imaginent .”.

CONTRE LES VIOLENCES, J’AGIS

Sources

(1) Les mutilations sexuelles féminines sont des interventions qui modifient ou provoquent intentionnellement des blessures aux organes génitaux féminins pour des raisons non médicales. Au-delà de l’extrême douleur physique et psychologique, ces pratiques comportent de nombreux risques pour la santé, pouvant aller jusqu’à la mort (ONU Femmes France).

(2) Safe Hands for Girls (Des mains sûres pour les filles). Consulté ici le 20 novembre 2023.

(3) ONU Femmes, Progrès vers la réalisation des Objectifs de Développement Durable : gros plan sur l’égalité de genre 2023 , 2023. Accessible ici

(4) Fatwa : Consultation juridique sur un point de religion, https://dictionnaire.lerobert.com/

(5) UNICEF, Female Genital Mutilation/Cutting: a global concern, New York, 2016. Accessible ici

ONU Femmes, Mettre fin aux MGF est essentiel pour assurer aux filles le contrôle de leur propre vie, 4 février 2021. Consulté ici le 20 novembre 2023.

ONU Femmes, Dans les paroles de Jaha Dukureh : « Nous sommes arrivés à un tournant décisif dans le mouvement de lutte contre les mutilations génitales féminines », 27 février 2018. Consulté ici le 20 novembre 2023.

Banque Mondiale Live, Intervenante : Jaha Dukureh, Directrice exécutive et Fondatrice de Safe Hands for Girls, et Ambassadrice régionale d'ONU Femmes pour l'Afrique, 03 mars 2021. Consulté ici le 20 novembre 2023.