Iran : où en sommes-nous aujourd’hui ? Rencontre avec une journaliste et féministe queer

Lauréate 2023 de l’Initiative Marianne, Asal Abasian est une journaliste iranienne et une féministe queer qui milite depuis huit ans pour l’égalité de genre et les droits LGBTQIA+. Asal a commencé à travailler en tant que journaliste en 2007 et a collaboré pour certains des médias iraniens les plus célèbres comme Shargh, Chelcheragh et Andishe-pouya. Après avoir été la cible de menaces, Asal a fui l’Iran pour la Turquie en 2021. Rencontre.

Asal Abasian

Pouvez-vous vous présenter ? Qu’est-ce que c’est être queer ? Comment définissez-vous l’identité queer ?

« Je suis Asal Abasian, 31 ans, journaliste et féministe queer. Je me concentre généralement sur les enjeux liés aux personnes LGBTQI et à l’égalité de genre. Queer est un terme utilisé habituellement pour les personnes LGBTQI. Pour désigner une personne concernée par les questions liées à la communauté LGBTQI, et aussi par les enjeux féministes, il est habituel d’utiliser le terme “féministe queer”. En Iran, la société et la situation politique sont si conservatrices et fermées aux personnes LGBTQI et aux personnes ayant une identification différente, que j’ai dû garder mon identité cachée. Après avoir fui l'Iran d’une certaine manière, j’ai pu m'exprimer librement. »

En tant que journaliste et militante, avez-vous noté des progrès féministes ces dernières décennies en Iran ?

« Nous avons eu deux importantes campagnes et protestations pour les droits contre le hijab obligatoire, la première en 2017, nommée Protestations des filles d'Enghelab (Girls of Enghelab protests) où Vida Movahed (ndlr: activiste iranienne) attachait son hijab au bout d’un bâton pour montrer publiquement qu’elle ne voulait plus le porter. Ensuite, il y a six ou sept mois, Mahsa Jina Amini a été tuée après son arrestation par la police des mœurs. Puis, nous avons eu de vastes manifestations contre le port obligatoire du hijab en Iran. Je peux dire que la dernière décennie fût progressiste dans l’histoire de notre mouvement féministe. »

Actuellement, comment décrivez-vous la situation des droits des femmes et des personnes LGBTQIA+ dans le pays ?

« C'est affreux car la peine de mort est encore en vigueur pour les personnes LGBTQI en Iran, et nous n'avons pas de liberté d'expression. En tant que journaliste, il est plus que difficile d'être indépendante du point de vue du régime. Le critiquer signifie être gardé·e en prison, comme pour mes collègues Niloofar Hamedi et Elahe Mohammadi, deux courageuses journalistes qui ont signalé la mort de Mahsa Jina Amini et l’ont diffusé au monde. Elles sont toujours en prison sans aucune perspective, elles n'ont même pas de procédure judiciaire, elles n'ont pas d'avenir en prison. Nous avons la liberté d'expression sur le papier mais nous sommes jetées en prison après nous être exprimé·e·s. »

Face à ce constat, quelles sont vos activités ? Quel est votre travail ?

« Je me présente généralement comme une journaliste qui défend l'égalité de genre. Mon objectif est le suivant : faire entendre la voix des sans-voix pour l'égalité de genre. En France, je fais de mon mieux pour construire une association de protection et d’aide pour les personnes LGBTQI, et pour sensibiliser et former la société sur les questions LGBTQI. C’est un projet en cours. »

Comment se poursuivent les protestations à la suite du décès de Mahsa Amini ? Quels en sont les résultats à ce jour ?

« Les manifestations se poursuivent. Malheureusement, le régime islamique essaie de montrer le contraire par de la désinformation. Il a lancé une propagande dans le but d'atteindre ses propres objectifs. Les protestations sont actives, le hijab n’est plus porté mais le régime fait de la propagande à l’encontre des manifestant·e·s et à rebours de la réalité du terrain que sont les manifestations. Nous ne savons pas combien de temps il faudra pour mettre fin au régime. Mais ce qui est sûr est qu’il s’agit d’un processus qui ne peut pas aller vite car il faut du temps pour faire évoluer les mentalités. La population doit être consciente de ce qu'elle veut et de ce qu'elle ne veut pas, et cela prend du temps. Beaucoup de femmes brillantes, des militantes politiques qui défendent les droits humains en Iran, sont toujours en prison. Leur avenir est affecté par la République islamique. Les manifestations ne portent pas encore de résultats spécifiques, mais je pense que le combat du peuple est en marche . »

En dépit des nombreux mouvements sociaux en ce sens, quels obstacles à l’égalité des genres identifiez-vous aujourd’hui en Iran ?

« Être née femme dans une société conservatrice comme l'Iran signifie avoir potentiellement de grandes difficultés à progresser en tant qu'être humain au-delà de son genre. Il faut un temps et une énergie considérable pour aller au-delà de telles difficultés. Ainsi beaucoup de femmes, surtout celles issues de certaines classes sociales, n’ont pas la moindre chance d 'améliorer leur condition. Elles sont isolées en raison de leur genre, de leur identité et, à cause du fait qu'elles ne choisissent jamais pour elles-mêmes. C'est le principal problème : devenir une victime de la société patriarcale sans aucune chance de s’en sortir. C'est un gros problème.

Alors il ne faut jamais abandonner. C'est le levier principal à utiliser contre le patriarcat. Ne jamais abandonner. Toujours se battre, continuer à se battre courageusement. En Turquie et en Iran, la situation est en quelque sorte la même car la Turquie a une frontière avec l'Iran et le gouvernement turc a de nombreux accords et relations cachés avec le régime de la République islamique. La Turquie n'est pas non plus un endroit sûr pour les activistes comme moi. Le plus grand défi en Iran et dans un pays comme la Turquie est l'état d'esprit de la population qui est principalement conservateur et sans aucune acceptation des différences.

J'ai l'impression que les questions de genre seront moins d’actualité à l'avenir car de nombreuses personnes s'identifieront comme non binaires. À mon sens, l'avenir sera plus brillant pour les communautés queer du monde entier, même dans des pays conservateurs comme l'Iran, car il n’est jamais possible d’ignorer complètement l'existence d'un groupe minoritaire. Ils se montreront toujours. »

Quel est votre message au public en France ?

« Aujourd’hui, le monde entier sait que les violences sexistes et les protestations ne sont pas un phénomène nouveau en Iran après Mahsa Amini. Nous comptons de nombreuses années de mouvements progressistes pour l’égalité de genre et contre, par exemple, le port obligatoire du hijab. Selon moi, nous avons un long chemin à parcourir pour notre avenir en matière d'égalité de genre. Nous sommes au milieu de ce chemin. »

Propos recueillis le 5 avril 2023

 


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