Entretien avec Nuray Simsek, défenseure des droits humains et lauréate de l'initiative Marianne

Défenseure des droits humains et professeure de philosophie, Nuray Simsek est licenciée en 2016 à cause de ses opinions politiques. Malgré son interdiction de travailler en Turquie, elle ne cesse pas son militantisme et poursuit son engagement en faveur du respect des droits humains. L'équipe d'ONU Femmes France a eu l'occasion de dialoguer avec elle.

Nuray Simsek, pour celles et ceux qui ne vous connaissent pas, comment souhaitez-vous vous présenter ?

Je suis défenseure des droits humains et professeure de philosophie. J’ai travaillé au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, en particulier dans la Comission des droits des personnes détenues et réfugiées. De 2016 à 2020, j’ai soutenu une association des droits humains à Istanbul à travers des rapports sur les victimes de violations des droits humains, des pétitions auprès du gouvernement, des affaires judiciaires et des communiqués de presse.

En 2016, après la tentative de coup d'État y compris contre le gouvernement et le Président Recep Tayyip Erdogan, je faisais partie des milliers de personnes licenciées pour des raisons de “sécurité”, soit disant. En réalité, j’ai perdu mon emploi car je suis défenseure des droits humains.

Mon passeport a été supprimé et, désormais, je ne peux plus travailler en Turquie. Cependant, je me considère plus chanceuse que d’autres victimes envoyées en prison, torturées ou tuées.

Quelles raisons vous ont poussé à agir pour la protection des droits humains ?

En Turquie, nous n’avons pas besoin de motivation spécifique pour protéger les droits humains. Chaque jour est une lutte sur tous les terrains. Pour moi, il y a deux manières de réagir : soit se taire, soit se battre. J’ai choisi la deuxième.

J’ai appris à mes étudiants et étudiantes l’importance des libertés, telles que la liberté d’expression et de mouvement. Pour cette raison, je ne peux pas me taire. La vie est un combat. Peut-être y a -t-il eu un tournant lorsque j'étais à l'université ?

La police est venue à mon domicile et a pointé des armes sur ma sœur et les personnes qui vivaient avec moi car il s’agissait de défenseur·e·s des droits humains. À ce moment-là, j’ai compris que les violences étaient réelles. Je l’ai vu de mes propres yeux et je me suis promis de réagir et de lutter.

Quelle est la situation des droits des femmes et des filles ainsi que des personnes membres de la communauté LGBTQI+ aujourd’hui en Turquie ?

En Turquie, les féminicides sont un fléau. Chaque jour, une femme est tuée par un proche. Ce chiffre est certainement une sous-estimation car nous ne possédons aucun rapport sur le sujet.

Le Président Erdogan a appelé les femmes à avoir au moins trois enfants et a précisé que leur première mission est d’être de bonnes mères et épouses. Ces propos renforcent les stéréotypes et encouragent d’autres hommes à traiter les femmes selon leur bon vouloir.

La situation est pire pour la communauté LGBTQI+. Elle est menacée, discriminée, tuée, ne bénéficie pas de justice pour les préjudices subis et ne peut travailler. Alors les membres cachent leur orientation sexuelle ou se prostituent.

Avez-vous constaté une régression des droits des femmes après le retrait de la Turquie de la Convention d’Istanbul ?

Cette situation est tragique et comique à la fois. Nous sommes le premier pays à avoir ratifié la Convention, nous lui avons donné son nom et l’avons intégré dans notre Constitution. Le Président Erdogan a cependant décidé unilatéralement du retrait de la Turquie alors qu’un tel acte requiert à l’origine un accord parlementaire. Sa décision a causé une grande réaction ainsi que des manifestations mais également une importante répression.

Je suis certaine d’avoir constaté une régression car même si la Convention n’était pas parfaite, elle protégeait les femmes. Dorénavant, l’impunité, le sexisme et les violences vont croître. La plupart des hommes pensent pouvoir traiter les femmes n’importe comment car elles ont perdu leur protection.

Que pensez-vous des manifestations en Iran suite au décès de Mahsa Amini ? De quoi sa mort est-elle le symptôme ?

J’ai été triste d’apprendre qu’une jeune femme a été tuée par les forces de l’ordre sans aucune raison mais cet événement a permis une rupture. Mahsa Amini n’est pas la première, je pense que la population est pleine de colère et désormais elle l’est collectivement dans la rue.

En Turquie, mais aussi dans d’autres pays, nous avons des problèmes similaires car, peu importe notre statut, nous vivons dans une société patriarcale.

Ensemble, les femmes peuvent tout faire. Elles sont fortes partout dans le monde. Regardez en Iran, malgré les personnes tuées, la population est toujours dans la rue. C’est un message important pour toutes les personnes qui cherchent à déterminer notre condition.


Comment percevez-vous le futur des femmes et filles turques ?

Avant Erdogan, il y avait des règles mais aujourd’hui plus personne ne croit aux règles ou à la loi. Avant, il y avait des violations mais aussi une justice. Maintenant, il n’y a plus de règles, il n’y a que de l’injustice et de l’impunité. Jour après jour, la situation empire.

Le 25 novembre, pour la Journée internationale pour l’élimination des violences à l’encontre des femmes, eu lieu une marche à Istanbul. 200 femmes ont été détenues, 2 d’entre elles sont des réfugiées et seront rapatriées. Les jours suivants, les femmes sont toutefois restées dans la rue.

C’est dangereux mais nous devons poursuivre la lutte. Nous n’avons pas le choix. Je suis optimiste car je sais que je fais partie d’un momentum, je sais que les femmes sont fortes et se battent pour leurs droits.

Quel est votre message pour le public en France ?

Les personnes en France doivent montrer leur solidarité envers les autres pays.

Elles doivent être conscientes et comprendre les problèmes en Turquie. C’est un mouvement important et fort mais nous avons besoin de soutien. Nous ne souhaitons pas perdre une autre sœur à cause de ce système.

Je veux dire aux femmes françaises d’être conscientes et de tenter de mettre la Turquie sur leur agenda. Nous ne sommes pas à la guerre et nous ne sommes pas comme l’Iran, l’Ukraine ou l’Afghanistan. Mais chaque personne est importante. N’oubliez pas le reste du monde qui souffre aussi. En France aussi, plus de 100 femmes ont été tuées. Nous faisons l’expérience de problèmes similaires à cause du système patriarcal.

Ecrivez des articles, faites des documentaires et informez-vous. Soyez solidaire et conscient·es de la situation actuelle en Turquie.

Interview par Carlotta Gradin, Vice-Présidente Plaidoyer



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