Témoignage d’Abier Al-Masri, défenseure palestinienne des droits humains

En janvier, afin de mettre en lumière les initiatives d’aide humanitaire d'urgence et l’agenda “Femmes, paix et sécurité”, ONU Femmes France interviewe Abier Al-Masri. Activiste et défenseure des droits humains, elle travaille pour Human Rights Watch depuis 2016 où elle se spécialise dans les droits des Palestiniens et Palestiniennes à Gaza. En 2022, elle est élue lauréate de l’initiative Marianne, lancée par le Président Emmanuel Macron, afin de soutenir les défenseur.e.s des droits humains dans leurs combats, à l’étranger et en France.

“ Mon nom est Abier Al-Masri. Je suis palestinienne, de Gaza. Je travaille pour Human Rights Watch comme Assistante principale de recherche. J’ai vécu toute ma vie à Gaza. Je suis née là-bas, je travaille et je vis là-bas “

Quelle est la situation des droits humains à Gaza ?

Depuis 2007, les autorités israéliennes ont imposé des fermetures à Gaza. Ils n'autorisent pas les Palestiniens à voyager ni à traverser les frontières dans tout le pays. Nous ne pouvons voyager que pour des raisons humanitaires.

Ces fermetures ont non seulement conduit à la fragmentation du peuple palestinien, mais ont également dévasté l'économie, 80 % de la population dépendant désormais de l'aide humanitaire.

Quelle est la situation des droits des femmes dans ce conflit ?

C’est très difficile, surtout lorsque vous êtes à Gaza. Les femmes sont confrontées à deux fois plus de restrictions : tout d’abord, elles doivent s’occuper de la famille et, si elles sont dans une famille conservatrice, elles doivent se battre pour leurs propres droits. Ensuite, elles doivent se battre avec la communauté et la société pour leurs droits.

Il y a des lois discriminatoires, et surtout des fermetures. À titre d’exemple, une des mes collègues voulait voyager, mais devait persuader sa famille. Après avoir réussi à les convaincre, elle a commencé à travailler dans une ferme et à s’occuper de son permis. Mais finalement elle n’a pas pu voyager. Vous pouvez donc imaginer le nombre d'obstacles que les femmes doivent affronter et leur impact sur le plan mental et psychologique.

Elles doivent également gérer l'impact du conflit lorsqu'elles perdent leurs proches. Ce n'est pas facile d'obtenir un soutien psychologique afin d’aider ces femmes à aller de l'avant. Plusieurs d'entre elles doivent soutenir financièrement leur famille après avoir perdu leur père ou leur mari. Elles doivent aussi suivre les usages traditionnels relatifs à la maternité et aux tâches ménagères. Ces femmes peuvent également se retrouver sans foyer après les destructions provoquées par les conflits.

Parfois, elles doivent accepter ces violences parce qu'elles n'ont pas d’alternative et qu'elles ne sont pas indépendantes financièrement à cause de l'occupation et des interdictions de se déplacer qui en découlent. Mais les ONG leur offrent une protection et essaient de trouver des solutions au cas par cas. La violence contre les femmes est vraiment compliquée dans notre pays.

“ Nous méritons vraiment la liberté. Quand on est libre, on peut se réaliser, explorer, et penser à l'avenir “

Quel est votre travail au sein de Human Rights Watch ?

Je travaille sur le terrain. Je fais les interviews, je collecte les informations en provenance de différentes sources : des victimes, des témoins, des avocats. Cela peut aussi provenir des ONG et des Nations Unies.

Habituellement, je travaille sur l’impact de l’isolement de Gaza sur les civils. Je collecte les témoignages, les histoires, et on fait de la recherche.

En ce qui concerne mon travail sur l'escalade de la violence, je commence généralement à surveiller et à recueillir des informations. Je me rends sur place, je contacte les personnes interrogées, je prends des vidéos des destructions et je vérifie le nom des civils qui ont été tués.

À votre avis, existe-t-il des perspectives de développement des droits des femmes dans la bande de Gaza ?

C'est un chemin vraiment difficile, parce que les ressources sont limitées. Je pense que c'est un combat pour les femmes de se trouver dans ce genre de situation. C’est n’est pas facile d'être une défenseure des droits humaines, surtout en tant que Palestinienne et en tant que femme.

Je pense que les organisations font un excellent travail. Elles peuvent fournir une vue d'ensemble sur la façon dont les femmes sont affectées. Certaines organisations peuvent aussi apporter un soutien juridique aux victimes des violences, et qui peuvent ainsi divorcer et suivre une voie légale pour le faire.

Au début, j'avais besoin d'être indépendante financièrement car, en tant que femme, même si je veux me marier, je ne veux pas dépendre de mon partenaire. Je pense que l'autonomisation commence par l’indépendance financière, et que les femmes ont besoin de voyager. On est dans une petite communauté, on connaît tout le monde. On a besoin de plus de liberté. On se bat depuis le début et je vois qu’il y a du progrès.

Je fais partie d’un groupe de femmes, dans lequel nous participons à des formations et nous nous soutenons mutuellement. Nous partons de là, en tant que défenseures des droits humains et en tant que femmes, pour en apprendre davantage sur le féminisme, et nous partageons ce que nous avons entendu sur la violence et les femmes. Nous commençons donc très modestement.

Est-ce que vous avez un message à faire passer ?

Les Palestiniens et les Palestiniennes à Gaza sont des gens normaux, et ils méritent une vie normale.

Tant que je suis ici [en France], je dois sensibiliser les gens. Les personnes extérieures à Gaza pensent que, lorsqu'il n'y a pas d'escalade et pas de conflit, la situation est bonne. Mais non, elle ne l'est pas du tout et c'est pourquoi le cessez-le-feu ne nous a jamais apporté la paix, parce qu'après cela, on doit faire face aux traumatismes, et aux autres problèmes du monde comme l'accès à l'électricité, au chômage...

Je viens de réaliser que ce genre de restriction nous dévaste parce que cela fait un moment que je suis en train de me rétablir. Je me souviens de la première fois que j'ai réussi à voyager en Europe. J'étais à Lille, je suis allée à Gant et lorsque l’on m’a dit que l’on était arrivés, j'ai dit « Quoi ? On est arrivés ? Pas de frontières ? ». J'étais tellement heureuse et j'avais envie de pleurer parce que c'est si compliqué pour nous.

Nous méritons vraiment la liberté. Quand on est libre, on peut se réaliser, explorer, et penser à l'avenir.

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