Paroles de flammes : Caroline Jouisse

Caroline Jouisse, championne de France et médaillée aux Championnats d’Europe et aux Jeux mondiaux en nage libre, se confie à ONU Femmes France sur sa pratique sportive. De l'étincelle qui a attisé son envie de se lancer dans la natation aux difficultés auxquelles elle doit encore faire face, Caroline livre un message percutant à la nouvelle génération de sportives : ensemble, nous pourrons faire avancer les choses et pallier le manque de médiatisation des femmes dans le sport.

Caroline Jouisse, nageuse en eau libre. Photo : Alanis DUC.

Quelle a été votre étincelle ? Comment a débuté votre pratique sportive ?

Mes parents m’ont inscrite à la natation avec mes sœurs lorsque nous étions très jeunes, à trois ans. L’idée était de ne pas avoir peur du milieu aquatique et de s’y habituer. J’ai commencé une classe de sport étude dès la sixième. En CM2, j’ai fait un pré-sport étude pour me préparer à pratiquer tous les jours, et j’ai continué au lycée. Ensuite, j’ai fait une année de fac de sciences, puis un BTS, et je suis partie avec un organisme sportif aux États-Unis pendant trois ans. Par la suite, je me suis entraînée en Italie durant un an avant de rentrer en France pendant le Covid.

Mon déclic, c’est vraiment l’année 2012. Je nageais en bassin avant de commencer la natation en eau libre que je pratique depuis maintenant 12 ans. J’ai démarré par hasard, après la suggestion de mon coach, et j’ai tout de suite adoré. J’avais fait sept ans de sports études dans une discipline que j’aimais mais dans laquelle je ne réussissais pas en compétition. Après avoir découvert l’eau libre, j’en suis devenue passionnée car j’adore la gestion des éléments naturels qu’impose cette pratique.

Quel·le athlète est votre rôle modèle, votre source d’inspiration ? Pourquoi ?

Je n’ai pas vraiment d’athlète modèle. En France, Laure Manaudou a joué un grand rôle dans l’évolution de la natation au niveau français. Elle a eu une superbe carrière qu’elle a su faire progresser malgré les hauts et les bas. Elle est parvenue avec succès à développer notre sport, voire la natation en général, notamment grâce à sa forte médiatisation. Elle vient de porter la flamme en Grèce, par exemple. C’est une vraie source d’inspiration. Avant 2004, année où Laure Manaudou a remporté sa médaille olympique à Athènes, notre sport existait mais il n’était pas mis en lumière. L’eau libre, par exemple, n’est aux JO que depuis 2008 et il s’agit d’un sport en pleine maturation.

À l'échelle internationale, je dirais Katie Ledecky, qui est incroyable par son palmarès. Dans ma discipline, je dirais Sharon Van Rouwendaal, championne olympique en 2016 et vice-championne olympique en 2021. Depuis 2010, elle est en équipe nationale néerlandaise et exerce à un haut niveau avec des résultats chaque année. Permettez moi ici d’élargir votre question dans un domaine autre que le sport. En effet, je suis très admirative de la carrière d’Emma Watson, non pas en raison de son rôle dans Harry Potter mais surtout pour son implication dans la cause féminine.

Je suis très admirative de la carrière d’Emma Watson, non pas en raison de son rôle dans Harry Potter mais surtout pour son implication dans la cause féminine.

Qu'est-ce que le sport apporte à votre vie, tant sur le plan personnel que professionnel ?

Dans ma vie personnelle, le sport m'apporte le sens de l’organisation, du dépassement de soi, de la rigueur et mon caractère travailleur. Il me sert aussi dans la vie professionnelle. Entre mon travail et mon sport, je dois m’organiser pour pouvoir gérer les deux. À l’origine, j’étais plutôt peu motivée à l’école, et je ne rentrais pas dans le moule. En France, on tend à uniformiser l’apprentissage alors qu’aux États-Unis, chaque personne est à son rythme. J’ai mieux réussi mes études là-bas. Cela m’a également permis d’acquérir une plus grande ouverture d’esprit : certaines choses sont difficilement mesurables, comme le niveau de vie d’un pays par exemple, et sans voyager, je ne m’en rendrais pas forcément compte. Voyager grâce au sport m’a également permis d’être trilingue, en français, en anglais et en italien.

Le sport m’a apporté tellement de choses que je ne saurais tout définir. Je vis ce quotidien depuis la 6ème. Bien que consciente de ma “chance”, il m’arrive parfois d’être déconnectée de la réalité et de banaliser mes expériences. À mon sens, nous sommes parfois dans une bulle, et c’est un point négatif.

À quel(s) obstacle(s) faites-vous face dans votre carrière ?

La natation est un sport amateur. Il existe un obstacle financier de taille car les moyens disponibles sont plus limités pour l’eau libre que pour la natation en piscine. Nous ne sommes pas payé⸱es tous les mois pour nager. Il faut réussir à trouver des partenaires, à s’entourer des bonnes personnes. Ce n’est pas simple, surtout en tant que femme. 

Le manque de médiatisation des athlètes est également un réel obstacle. Les médias couvrent moins cette discipline par rapport à une course en bassin. Comparée aux hommes, la couverture médiatique des femmes est inférieure. Même avec des résultats sportifs équivalents, voire supérieurs, elles ont moins de sponsors car elles restent moins visibles et donc dans l’incapacité de vendre un impact médiatique aux sponsors. Aussi incroyable que cela puisse paraître à notre époque, il existe encore certaines disciplines ayant fait prévaloir des critères sexistes pour les qualifications.

Il faut réussir à trouver des partenaires, à s’entourer des bonnes personnes. Ce n’est pas simple, surtout en tant que femme. 

Comment dépassez-vous ces difficultés au quotidien ?

Je ne dépasse pas l’obstacle médiatique mais j’essaye en démarchant moi-même les médias de temps en temps. Il est un peu malheureux d’avoir à joindre directement les journalistes. Mon père en a aussi contacté en août 2022 quand je suis arrivée première aux championnats d’Europe et que les médias ne s’intéressaient qu’au sort du premier français, arrivé quatrième de sa course. Il en est de même en mai 2023, quand je gagne une coupe du monde et que le principal quotidien sportif français ne mentionne même pas une ligne sur cette performance.

Pour l’aspect financier, je suis toute seule. Je n’ai plus de manager. Le précédent ne m’avait trouvé aucun sponsors en un an. En parallèle, je travaille chez Véolia depuis deux ans. De façon bénévole, je participe au groupe de travail sur l’égalité femmes- hommes au sein de Ligue Européenne de natation ainsi qu’au comité athlètes de la commission libre. Au niveau international, je travaille particulièrement sur l'intégrité. Ces missions ne m’aident pas d’un point de vue financier mais me sont utiles pour promouvoir mon sport.

Avez-vous un motto, une phrase de motivation qui vous est propre ?

Il y a une phrase d’un film dont je ne me souviens pas du titre. C’est un film de combat dans lequel la maman dit à son fils : “Tant que tu n’es pas mort, tu peux toujours te battre”. J’ai un peu retourné cette phrase à ma sauce : “Tant que que je n’ai pas touché la plaque, tout peut arriver. Tant que je n’ai pas fini la course, tout peut arriver.” Je n’abandonne jamais. J’aime beaucoup cette phrase également : "Ne jamais rien lâcher, avec la victoire en ligne de mire". 

Quel message souhaiteriez-vous adresser à toutes les femmes dans le milieu sportif ?

Si chacune fait un petit pas, si chacune essaye de parler de son sport, de promouvoir son sport, de parler de la place des femmes dans le sport, je pense qu’on pourra faire avancer la cause. De temps en temps, c’est en allant à contre-courant qu’on arrive à ses fins. 

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