Interview de Ruth Montenegro (3/3) : “La vraie Histoire est celle que vous et moi écrivons chaque jour à travers notre survie”
Marche nationale “Vivas nos Queremos”, le 25 novembre à l’occasion de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. / 2018
9. Que voudriez vous dire aux jeunes femmes et filles d’aujourd’hui ?
La lutte fondamentale pour nos propres droits nous appartient. Personne ne fera le travail à notre place et "dans l'atelier de l'existence, vos mains manquent". Soyons cohérent.e.s. La "tolérance" exercée en violant ou en fermant les yeux face à une atteinte à la dignité humaine, est un acte de lâcheté. Toute violence est politique. Le personnel est politique. Pour celles qui sont mères, tantes, grands-mères, enseignantes, il faut toujours croire les paroles de nos enfants lorsqu'ils parlent de situations qui leur font du mal.
Nous sommes des "militantes de la vie". Nous faisons des choix à chaque étape de notre vie. Nous n'avons pas choisi notre lieu de naissance, mais nous sommes responsables du choix que nous faisons au moment où notre conscience s'est ouverte à la compréhension des inégalités et des injustices dans lesquelles vit la majorité des êtres humains. Cette découverte nous place dans le dilemme de choisir de quel côté nous serons. Nous pouvons faire la sourde oreille, hausser les épaules, tourner le dos et continuer à faire comme si rien ne se passait, mais la douleur la plus profonde est de savoir que cela s'est produit et que nous n'étions pas à la hauteur.
Cette position d'"impartialité" ne fait qu'ajouter à l'indifférence, au confort qui alimente le groupe oppresseur et tue les espoirs des plus vulnérables.
La deuxième option n'est pas du tout facile, car elle exige un exercice permanent de critique et d'autocritique, de désapprentissage de ce que nous avons appris, de déconstruction en nous-mêmes de toute la matrice de domination qui est imprégnée dans nos pratiques, dans nos relations, dans nos façons de voir et de comprendre le monde. C’est avec elle que nous avons été bercé.e.s depuis l’enfance. Cet exercice se fait en double sens, de l’individu vers le collectif et du collectif vers l’individu, simultanément, mais c’est le plus conséquent avec la DÉFENSE DE LA VIE et le plus COHÉRENT en termes D'HUMANITÉ.
La liberté, la justice, l’égalité sont à la fois l’horizon et le chemin à parcourir.
Et maintenant, la question demeure pour chacun.e d'entre nous : de quel côté serons-nous ?
Notre grande richesse réside dans notre diversité, c'est pourquoi nous nous reconnaissons dans toutes les oppressions. L'Histoire officielle, celle qui est racontée par la voix des hommes et des grands seigneurs, se réduit à la victoire ou à la défaite, mais la vraie Histoire est celle que vous et moi écrivons chaque jour à travers notre survie. Celle qui n'apparaît pas dans les grands titres, mais qui construit les processus historiques, celle qui se forge à partir de celles et ceux qui sont en bas, de la majorité appauvrie. C'est l'Histoire de la Résistance. L'objectif de notre lutte est de transformer la vie. Nous sommes des germes de tendresse qui oxygènent le monde, "la joie de semer ne peut être enlevée". Nous savons que les semences porteront leurs fruits et nous quitterons le "chemin fait pour celles.ceux qui viendront" ; c'est pourquoi nous continuerons à avancer et à construire les utopies d'une vie différente pour tout.e.s, chacun.e apportant ses capacités, son potentiel, ses talents, ses connaissances, en gardant toujours la capacité de s'indigner et de faire du cri des dépossédés notre propre cri. La liberté, la justice, l’égalité sont à la fois l’horizon et le chemin à parcourir. C'est pourquoi nous disons que nous sommes "la voix de la mémoire et le corps de la liberté". Désormais, nous nous faisons chair dans notre présent, pour que cette réalité devienne une norme et un exemple qui se diffuse et rayonne dans d’autres vies.
Questions par Carlotta Gradin
Traduction par Paola Serna et Carlotta Gradin, avec Lauren Stephan
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