Tribune - COVID-19 : quels risques et opportunités pour les femmes dans le monde ?

Tribune de Céline Mas, Présidente ONU Femmes France

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« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question »
— Simone de Beauvoir

Le contexte de la crise mondiale du COVID-19 incite à ajouter à ce lucide constat celui de l’effet d’une “crise sanitaire”, d’une ampleur inégalée depuis le début du 21ème siècle. Car l'épreuve que nous traversons n’a de cesse de visibiliser et d’exacerber les inégalités de genre. Si personne n’échappe à la menace, les femmes sont surexposées à des conséquences désastreuses qui remettent en cause leurs droits et l’égalité de genre. 

D’abord, les violences conjugales à leur encontre ont tragiquement augmenté. Les mesures de confinement prises, si elles sont nécessaires pour éradiquer la propagation du virus et préserver le travail héroïque des soignant.e.s, génèrent des huis-clos à très haute tension. Les données disponibles sont sans appel : en Europe et en Amérique, les gouvernements, activistes des droits des femmes, et la société civile dénoncent une augmentation des rapports de violence domestique pendant la crise, et une recrudescence des demandes d’hébergement d’urgence (1). À Singapour (2) et à Chypre, les numéros d’assistance téléphonique ont enregistré une hausse des appels de plus de 30% (3). En Australie, 40% des acteur.ice.s qui luttent contre les violences domestiques ont signalé une augmentation des demandes d’aide face à l’escalade de la violence (4). 

Deuxième domaine d’inégalités criantes : l’espace de travail et la sphère économique. Le COVID-19 renforce cruellement des inégalités et situations de précarité. Les femmes sont en première ligne de la réponse à la crise puisqu’elles représentent 70% des travailleurs.euses du secteur de la santé et des services sociaux au niveau global (5). Mais ces métiers sont trop peu valorisés socialement et mal rémunérés. En matière “d’économie informelle”, en temps normal, les femmes effectuent trois fois plus d’heures de travail domestique et de soin non rémunérés que les hommes, ce qui représente 11 mille milliards de dollars (6). En ce moment, ces données augmentent, et d’autant plus avec l'accompagnement scolaire des enfants. Elles sont 25% plus susceptibles de vivre dans l'extrême pauvreté (7) qui s’accentue ces jours-ci et génère une insécurité alimentaire. Le même scénario avait eu lieu lors de la crise d’Ebola. Le choc tectonique de la crise représente des mois, voire des années de lutte économique acharnée de millions de femmes pour leur survie si des mesures volontaristes ne sont pas appliquées. 

Enfin, troisième grand domaine touché de plein fouet : la santé des femmes et les droits sexuels et reproductifs. L’accès aux contraceptifs et la continuité des services de santé dédiés aux femmes, notamment les suivis gynécologiques et les opérations, ne sont pas assurés partout. À titre d’exemple, en Amérique Latine et dans les Caraïbes, 18 millions de femmes supplémentaires vont perdre l’accès aux contraceptifs (8). Par ailleurs, les équipements et les traitements devraient prendre en compte les femmes, notamment la fabrication de masques à leur gabarit. Cet androcentrisme ne commence pas aujourd’hui : il est prévalent dans la santé, notamment en matière d’accès aux soins et de prise en charge médicale (9).

Violences, économie, santé : le COVID-19 met les femmes en danger dans ces trois domaines, de façon plus aiguë encore pour les femmes les plus vulnérables. Les femmes précaires, en situation de handicap, les femmes réfugiées et les femmes des pays les plus pauvres sont souvent exclues de la protection sociale et des services publics

Ces constats inquiétants sont-ils une fatalité ? Non. Le mot crise vient du grec  “krisis”, c’est à dire le temps du jugement et de la décision. Quand nous n’avons plus une minute à perdre, quand la tension amène des apprentissages en accéléré, n’est-ce pas le moment opportun pour changer la donne par des mesures radicales et déterminées ? 

  • En premier lieu, nous exhortons les décideurs.ses et responsables des politiques publiques de santé à prendre en compte la dimension genrée de cette crise dans leur gestion et dans l’attribution des aides économiques. Intégrer les vécus et besoins spécifiques des femmes et des filles à partir des données existantes est la condition de la clairvoyance dans la prise de décision. 

  • Deuxième mesure à prendre : mettre la gomme en matière d'amélioration des rémunérations, notamment pour les métiers qui pansent nos corps autant que nos états mentaux. 

  • Troisième action déterminante : intégrer les femmes et les filles à tous les niveaux de décision et de gestion encore très masculins de cette crise, local, national et international. À ce titre, les médias jouent aussi un rôle important pour faire entendre les voix des femmes.

  • Enfin, quatrième action : le plaidoyer de tou.te.s les acteur.ice.s, public et privé, doit résonner plus que jamais. Il rappelle que cette catastrophe doit remettre l’humanité au coeur de nos sociétés. Les femmes représentent un peu plus de la moitié de la population mondiale. Faire sans elles ou contre elles, c’est construire un microcosmos univoque, qui se nourrira de dominations et d’injustices.  

À l’instar d’autres organisations, ONU Femmes s’engage résolument dans la lutte contre le virus à travers le monde. A titre d’exemple, nous reconnaissons le rôle central que jouent les femmes dans la prévention des contaminations, à travers des campagnes en Afghanistan (Salam for Safety) et au Bangladesh. Nous travaillons également sur la prévention des violences, comme au Vietnam dans les centres de quarantaine et sensibilisons le public sur l’importance du partage égalitaire du travail domestique, à travers la campagne #HeForSheAtHome. Nous nous coordonnons avec les autres agences onusiennes sur le terrain pour aider les femmes réfugiées et les femmes plus précaires. 

Oui, cette crise est un enfer pour les femmes et les filles. Oui, les inégalités persistantes se creusent. Mais non, nous ne y résignons pas. Des opportunités existent pour que demain, les droits des femmes soient une priorité et que l’égalité entre les femmes et les hommes soit enfin bien réelle. Un “monde d’après” entend-t-on partout. Souhaitons qu’il soit surtout un monde meilleur, fondé sur l’égalité et la justice. Et engageons-nous pour y parvenir.   

Céline MAS, Présidente ONU Femmes France


Voir également la Checklist des mesures de réponse au COVID-19 élaborée par ONU Femmes et fondée sur nos expériences de terrain.

(1) « Confinement : les violences conjugales en forte hausse en France » https://fr.euronews.com/2020/03/27/confinement-les-violences-conjugales-en-forte-hausse-en-france

(2) « Commentary: Isolated with your abuser? Why family violence seems to be on the rise during COVID-19 outbreak » https://www.channelnewsasia.com/news/commentary/coronavirus-covid-19-family-violence-abuse-women-self-isolation-12575026

(3) During quarantine, calls to 144 for gender violence increased by 25% » http://www.diario21.tv/notix2/movil2/?seccion=desarrollo_nota&id_nota=132124

(4) « Domestic Violence Spikes During Coronavirus As Families Trapped At Home » https://10daily.com.au/news/australia/a200326zyjkh/domestic-violence-spikes-during-coronavirus-as-families-trapped-at-home-20200327

(5) ONU Femmes, https://news.un.org/fr/story/2020/03/1064582

(6) Ibid 9

(7) Rapport du Secrétaire Général, https://undocs.org/en/E/CN.6/2020/3

(8) Out-of-Pocket Spending for Contraceptives in Latin America. UNFPA, Latin America and Caribbean Regional Office, March 2020

(9) https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/genre-et-sante


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