La tribune d'ONU Femmes France par Céline Mas, Présidente de l’association, sur les violences à l'encontre des femmes dans le monde

 
 

Céline Mas, Présidente d’ONU Femmes France. (Crédits : Christine Huet Morio)

En 2023, 1 femme sur 3 est victime de violences physiques ou sexuelles au cours de sa vie, sur tous les continents, dans tous milieux sociaux. 5 femmes ou filles sont tuées en moyenne toutes les heures par un membre de leur famille. Il s’agit de la violation des droits humains la plus répandue dans le monde. Pourtant, données et expériences de terrain à l’appui, il est possible de construire une société dans laquelle les femmes et les filles seraient préservées des violences. Mais nous reculons. Reconnaître la gravité du problème, c’est le prendre au sérieux, approfondir ce qui fonctionne et lui allouer des ressources importantes et décisives.

 

Nous vivons une époque de crises : sanitaires, géopolitiques, économiques, sociales, climatiques. A chacune d’entre elles, les droits des femmes reculent ; leur intégrité physique et morale est menacée durablement. Partout, elles sont les victimes collatérales des prédations, obscurantismes et conflits dans un monde qui se vante orgueilleusement des exploits sophistiqués de l’IA. Le 7 octobre dernier, le Hamas a semé la terreur et massacré des Israéliens, dont des nombreuses femmes et des filles dans des conditions particulièrement insoutenables. Nous avons condamné sans réserve ces actes barbares tout en demandant la libération inconditionnelle des otages ET dans le même temps, nous pensons aux femmes et aux filles de Gaza qui ont perdu leur vie tragiquement dans des souffrances indescriptibles et avons appelé urgemment au cessez-le-feu humanitaire pour porter secours aux civils. Le ET est ici fondamental car l’humanité ne choisit pas. Nous condamnons et continuerons à condamner sans équivoque tout acte de violence contre les femmes et les filles, incluant la violence sexuelle, considéré comme une violation inacceptable des droits humains, où que ce soit dans le monde. Nous sommes aux côtés de tous les civils, et particulièrement de toutes les femmes du monde. En 2023, je l’écris avec gravité, vivre une vie sereine et libre en tant que petite fille autant que jouir pleinement de ses droits en tant que femme reste un privilège.

Sénégalaises, congolaises, iraniennes, afghanes, ukrainiennes, yéménites, soudanaises, états-uniennes, haïtiennes, chinoises, japonaises, indiennes, brésiliennes, argentines, mexicaines, chiliennes, polonaises, françaises et dans tant d’autres pays, le constat est le même : les violences sous des formes diverses persistent, les mentalités évoluent trop lentement et les droits sont fragiles et souvent réversibles.

C’est le monde dans lequel nous vivons. Mais pas celui dans lequel nous voulons vivre. Les solutions existent tandis que les ressources sont dérisoires : 0,2% de l’aide globale au développement en 2022, alors même que l’impact pour les vies des victimes est infini, et au second plan l’impact économique des violences dans certains pays est chiffré à 3,7% du PIB mondial.

Notre irresponsabilité collective à ne pas investir est d’autant plus incompréhensible que nous savons ce qu'il faut faire : réformer et mettre en œuvre des lois et des politiques multisectorielles ; améliorer radicalement le fonctionnement de la justice via des juridictions dédiées notamment et des forces de police mieux formées ; veiller à ce que les survivantes aient accès aux services dont elles ont besoin ; intensifier les mesures de prévention fondées sur des données probantes et faire cesser l’impunité des auteurs de violences avec des peines à la hauteur des crimes ; soutenir l’autonomisation économique des femmes survivantes dans leurs parcours de vie ; mettre enfin en œuvre la résolution 1325 des Nations Unies qui défend la place stratégique des femmes dans les conflits, à la table des négociations pour des accords de paix plus durables ; insérer la lutte contre les violences dans tous les programmes scolaires ; travailler ensemble car les silos nous font perdre du temps : responsables publics, associations, entreprises, experts, acteurs de la justice et de la police, soignants, société civile afin d’être plus innovants et d’accélérer les progrès.

Ces axes de travail ne sont pas des vœux pieux. Ils sont des piliers de programmes d’action onusiens qui doivent être couplés à des politiques publiques à la hauteur des enjeux. Ils ont été développés par ONU Femmes dans bon nombre de pays du monde et ont démontré leur impact massif via une mesure systématique. En 2022, le Trust Fund, fonds d’affectation sur les violences faites aux femmes, a soutenu 186 organisations dans 70 pays et atteint plus de 47 millions de personnes, dont plus de 24 millions de femmes et de filles. Cette année, les individus et organisations engagé·e·s dans le mouvement mondial Génération Égalité, initié par ONU Femmes en 2021 pour faire progresser l’égalité de genre, ont fait état de 389 mesures politiques et de plus de 600 programmes mis en œuvre pour lutter contre les violences fondées sur le genre. L'initiative Spotlight, une initiative mondiale des Nations unies en partenariat avec l'Union européenne, entre autres, pour éliminer les violences faites aux femmes, a investi de manière substantielle dans la prévention, touchant 260 millions de personnes par le biais de campagnes, sensibilisant deux millions d'hommes et de garçons à ces sujets. L'Initiative a vu 477 lois ou politiques contre les violences adoptées, et près de 2,5 millions de femmes et de filles ont eu accès à des services.

Les violences sont une forme de corrosion fatale des sociétés. En s’attaquant aux femmes et aux filles, elles rongent nos liens et tout ce qui peut nous réunir. Il n’est jamais trop tard : un autre monde est possible. L’engagement n’est pas réservé aux femmes, les hommes ont un rôle déterminant à jouer. Chacun.e peut faire sa part. C’est une question de justice et de responsabilité face à l’avenir. Plutôt que de se protéger de vivre, les femmes et les filles, enfin préservées de cet engrenage des violences, pourront œuvrer d’autant mieux à répondre aux défis de notre temps.

Article initialement publié sur le site de La Tribune, le 26 novembre 2023, accessible ici.

CONTRE LES VIOLENCES,

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Sources

(1) L'Institut pour l'égalité et l'Accélérateur pour la prévention des violences basées sur le genre / The Equality Institute & The Accelerator for GBV Prevention, Qu'est-ce qui compte ? L'État des financements pour la prévention des violences basées sur le genre à l'encontre des femmes et des filles (What Counts? The State of Funding for the Prevention of Gender-based Violence Against Women and Girls), p.16, 22 novembre 2023. Accessible ici.

(2) Groupe de la Banque mondiale, Lucia Hanmer, Tazeen Hasan, Jeni Klugman, Jennifer McCleary-Sills, Julieth Santamaria, Sarah Twigg, Voix et action : autonomiser les femmes et les filles pour une prospérité partagée (Voice and agency : empowering women and girls for shared prosperity), p.14, 1er octobre 2014. Accessible ici.

(3) ONU Femmes, Rapport de redevabilité Génération Égalité 2023 (Generation Equality accountability report 2023), p.44, 17 septembre 2023. Accessible ici.