Interview de Gilles Lazimi, médecin généraliste engagé contre les violences à l’encontre des femmes

 
Crédit photo : Gilles Lazimi

Crédit photo : Gilles Lazimi

 
« Les violences font perdre aux victimes, une à quatre années de vie en bonne santé. »
— Dr. Gilles Lazimi

Gilles Lazimi est un médecin engagé. En amont de ses activités de médecin généraliste au sein du centre municipal de santé de Romainville (93) et de maître de conférences à la Faculté de médecine de l’Université Pierre et Marie Curie (UPMC), il a fait des violences faites aux femmes son cheval de bataille. Rencontre. 

Qu’est-ce qui vous a poussé à vous engager contre les violences faites aux femmes ? En quoi, cela était-il important pour vous ? 

J’ai commencé à m'intéresser aux violences à la fin des années 90, parce que certaines de mes patientes, positives au VIH, subissaient des violences de la part de leurs conjoints. D’autres présentaient des pathologies chroniques pour lesquelles mes collègues et moi, n'arrivions pas à en déterminer l’origine, et ce, malgré les examens effectués. 

M’engager auprès du CFCV et de SOS Femmes 93 était important pour moi, parce que j’avais besoin d’être formé sur les violences. Je voulais qu’on m’aide, car en tant que garçon, j’ai mis du temps à comprendre à quel point il était difficile pour les filles d’avoir une vie sexuelle choisie ou de parvenir à déconstruire les stéréotypes dont elles sont victimes. Grâce à ces organismes, j’ai eu des professeures exceptionnelles comme Emmanuelle Piet ou Marie-France Casalis, qui m’ont transmis cette envie de me former aux violences, et de mener des études de repérage. En tant que médecin, il est important de se former à cette problématique : au-delà du fait que les violences impactent 1 patiente sur 4, elles ont un fort impact sur la santé de nos patientes. Ces dernières ont, par exemple, 10 fois plus de risques de faire des fausses-couches, 2 fois plus de risques de prendre des antidépresseurs ou des anxiolytiques, ou encore 5 fois plus de risques d’avoir des pathologies psychiatriques. Au total, les violences font perdre aux victimes, une à quatre années de vie en bonne santé. C’est véritablement un problème de santé publique, majeur.

Vous avez souligné la notion de ''véritable problème de santé publique, majeur”. Comment faire pour que les violences soient davantage prises au sérieux ?

Premièrement, les lois et les dispositifs sont présent.e.s, mais ils ne sont pas encore suffisamment appliqué.e.s. Il faudrait que l’on donne plus de possibilités à la police et à la justice pour faire leur travail. Deuxièmement, il faudrait augmenter le nombre de places en centre d’hébergement d’urgence, car ce qui est proposé aujourd’hui, n’est clairement pas suffisant. Troisièmement, depuis 2013, plusieurs acteurs et actrices engagé.e.s contre les violences, demandent à ce que les consultations médicales pour les victimes soient gratuites. Cela faciliterait les choses. Surtout lorsque l’on sait qu’en 2012,

Santé publique France a estimé le coût des violences au sein du couple et de leurs conséquences sur les enfants à 3,6 milliards d’euros dont 21,5 % de coûts directs (médicaux ou non), 66,8 % de coûts indirects et 11,7 % de coûts pesant sur les enfants de la victime. Enfin, il faudrait renforcer le lobbying actif auprès des ministères, pour que des campagnes soient mises en place pour aider au repérage. Il faut faire en sorte que les personnes soient formées, notamment sur l’aspect santé, qui est majeur pour ces femmes. 

Vous menez des travaux de recherche et vous dirigez  des thèses sur les violences conjugales, les violences sexuelles, le repérage des femmes victimes de violences en consultations médicales, sur l’IVG et les inégalités sociales de santé. Que faudrait-il faire pour qu'il y ait davantage de ressources sur les violences conjugales en France ? 

La première enquête visant à chiffrer les violences contre les femmes en France est celle de l’ENVEFF (Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France), en 2000. Ce n’est qu’à partir de 2006, que l’on commence à avoir les premières études sur les féminicides, tous les ans (notamment réalisées par la délégation aux victimes du ministère de l’Intérieur à partir des chiffres officiels de la gendarmerie et de la police nationale, NDLR). Il y a non seulement un problème de référencement des données sur les violences, mais aussi un problème de définition. La majorité des études actuelles ne prennent pas en compte toutes les formes de violences : elles interrogent sur les violences physiques ou sur les violences sexuelles. Elles oublient le plus souvent les violences psychologiques ou encore celles économiques. C’est une situation assez problématique, car les violences commencent toujours par de la violence verbale et psychologique.

La crise du covid-19 a fortement augmenté les violences faites aux femmes. Comment l’expliquez-vous ?

Lors du premier confinement, nous avons eu effectivement plus de signalements. Ma question est de savoir si ces signalements représentent plus de femmes victimes de violences, ou si ces signalements proviennent de femmes qui l’étaient déjà et le sont encore plus, du fait du confinement. Je pense que c’est plutôt ce deuxième exemple. Selon l’OMS, les services d'urgence à travers l'Europe ont enregistré une hausse allant jusqu'à 60 % des appels de femmes victimes de violences conjugales pendant le confinement. Cette situation fait en sorte que la femme et ses enfants, si elle en a, soient enfermé.e.s avec l’agresseur, ce qui est très difficile. C’est sans doute cette présence permanente qui a fait augmenter le nombre de signalements. D’autant plus avec l’aide d’outils comme le 114, développés pour prévenir par SMS.

Aujourd’hui, nous sommes de nouveau en confinement, et comme lors du premier, cela ne va aider en rien les femmes victimes de violences. Que faire pour les aider ? De votre côté, avez-vous mis en place un dispositif qui permette de leur venir en aide ?

De la même manière que vous appelez le 17 quand vous voyez un vol dans la rue, si vous êtes témoins de violences, vous êtes dans le devoir de le signaler. Les violences conjugales ne sont pas une affaire privée, ce sont des crimes, punis par la loi. On se doit d’intervenir ! Si vous êtes voisin.e, n’hésitez pas à frapper à la porte de la victime pour lui montrer qu’elle n’est pas seule. L’agresseur veut isoler la victime. Les voisin.e.s, la famille et les collègues doivent faire l’inverse. La victime a besoin de se sentir entourée et soutenue. Et pour cela, il ne faut absolument pas la faire culpabiliser ou lui faire la morale, ce serait contre-productif. Il ne faut rien lui imposer. C’est elle qui doit décider si elle souhaite être aidée. 

De mon côté, en tant que généraliste au centre de santé de Romainville, cela fait 20 ans que je travaille sur les violences. Il y a plein d'affiches dans notre structure. Une grande partie des habitantes de la ville ont identifié notre structure et savent qu’elles peuvent venir nous parler à tout moment. Si elles sont prêtes et qu’elles le souhaitent, nous pouvons les accompagner sur plusieurs aspects, et les mettre en réseau avec des associations, des assistant.e.s juridiques, la police, ou encore le.la procureur.e de la république. Du côté associatif, avec SOS Femmes, nous avons tout fait pour libérer des places d’hébergement supplémentaires, mais ce n’est malheureusement pas le cas partout.

Quel message passeriez-vous aux hommes, pour les amener à s’engager davantage contre les violences faites aux femmes ?

Je leur dirais de ne pas hésiter à s’engager dans les associations et à être acteurs de prévention au quotidien. S’ils sont témoins d’une quelconque attitude violente ou sexiste, dans la rue, au travail ou ailleurs, de ne rien laisser passer et d’intervenir. Il faudrait également que ces derniers éduquent leurs garçons et leurs filles de la même façon, afin de  casser les stéréotypes du genre. Nous avons tout à y gagner.



Propos reccueillis par Sabrina Alves