Effacer les femmes et les filles : la stratégie méthodique des talibans

Le 20 mars, ONU Femmes France a eu l’honneur d’accueillir Delphine O, Ambassadrice du Ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères et Secrétaire générale du Forum Génération Égalité, pour une Masterclass poignante sur la situation des femmes en Afghanistan.

Depuis la prise de Kaboul par les talibans en août 2021, les droits des femmes en Afghanistan subissent un recul sans précédent. Privées d’éducation, d’emploi, de liberté de mouvement, elles sont exclues de l’espace public, réduites au silence, effacées méthodiquement du paysage social et politique du pays.

Dans ce contexte, ONU Femmes France a organisé le 20 mars dernier une Masterclass exceptionnelle avec Delphine O, Ambassadrice du Ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères et Secrétaire générale du Forum Génération Égalité, qui a pu analyser les conséquences de cette crise et les enjeux internationaux liés à la défense des droits des femmes afghanes.

Éducation interdite, parole muselée : le quotidien des Afghanes sous les talibans

Modérée par Charlotte Saint-Arroman, Directrice Exécutive d’ONU Femmes France, cette Masterclass met en lumière la situation dramatique des femmes et des filles afghanes sous le régime taliban, ainsi que les limites de l'action internationale. Delphine O, qui a vécu en Afghanistan en 2013, en témoigne : 

« Aujourd’hui les femmes sont totalement effacées de l'espace public, et à ce titre on peut parler d'une véritable ségrégation. »

L’Afghanistan avait connu des avancées historiques concernant les droits des femmes. Dès 1919, les femmes avaient accès au droit de vote. La première école de filles avait été créée en 1921 et l'égalité était inscrite dans la Constitution depuis 1964. Les femmes et les filles afghanes ont joué un rôle central dans l'histoire du pays. Or, aujourd'hui on assiste à un chapitre de l'histoire de l’Afghanistan, où les droits des femmes et des filles afghanes reculent. Les talibans travaillent à l’effacement de leur présence de la sphère publique.

Depuis 2021, 126 décrets ont été adoptés pour interdire aux femmes l’éducation, le travail, la liberté de mouvement, la parole et même le regard sur le monde extérieur. Ces interdictions augmentent de 25% le risque de mariages forcés, de 45% les grossesses adolescentes et de 50% la mortalité maternelle. Un effondrement silencieux, méthodique.

Pourtant les Afghanes résistent. Dans l’ombre, dans le secret des foyers, des institutrices enseignent clandestinement chez elles au péril de leur vie, des militantes continuent à parler, des journalistes, comme celles de Radio Begum, se battent pour informer. Ce média, financé en partie par la France, est devenu une bouée de sauvetage éducative avant sa suspension récente.

« Radio Begum était donc un des rares médias qui avait réussi à survivre et qui aussi était soutenu et continue d'être soutenu financièrement par la France. » confirme Delphine O.

Suspendue aujourd’hui, cette radio éducative représentait un canal de survie pour l’accès au savoir. Et ce n’est qu’un exemple. Les talibans vont plus loin, interdisant désormais aux femmes l’accès aux instituts de médecine, hypothéquant l’avenir sanitaire du pays tout entier. Seules quelques structures humanitaires, comme l’Institut de la mère et de l’enfant à Kaboul, financé par la France via la Chaîne de l’Espoir, résistent en silence.

Entre pressions symboliques et isolement diplomatique : l’impasse internationale en Afghanistan

Face à la répression systématique des femmes afghanes, Delphine O évoque la mobilisation des instances internationales :

« Une campagne internationale est menée pour faire reconnaître l'apartheid de genre. »

Toutefois, l’isolement du régime taliban limite considérablement l’impact des pressions diplomatiques et juridiques. Delphine O le reconnaît sans détour : les instruments classiques de la diplomatie sont inopérants face à un régime qui « refuse l’aide humanitaire et condamne sa propre population à mourir de faim ». Sans présence diplomatique sur place, en l'absence de liens économiques et commerciaux, la France peut s'appuyer sur les déclarations officielles de la communauté internationale et sur des interventions humanitaires ciblées.

Face au blocage, la responsabilité morale incombe aussi à chacun de nous. À défaut d’intervenir militairement ou diplomatiquement, nous avons le devoir de ne pas oublier, de parler, de relayer, de soutenir. 

Le refus de l’oubli est un acte politique. La défense de leur droit à exister est un devoir. Car l’interdiction de l’éducation ne marque pas seulement une atteinte aux droits fondamentaux : elle laisse une cicatrice générationnelle, un effondrement psychologique.

« Il s’agit d’un traumatisme qui s’inscrira sur plusieurs générations. La santé mentale des femmes afghanes est extrêmement affectée, et les tendances suicidaires augmentent à une vitesse inquiétante. » insiste Delphine O.

Ce n’est pas un drame lointain. C’est un miroir tendu à nos engagements, à nos valeurs, à notre humanité. Les Afghanes ne demandent pas notre pitié. Elles exigent notre soutien. Ne les oublions pas.

Face à cette crise, ONU Femmes est mobilisée sur le terrain pour soutenir les femmes et les filles. Aux côtés de nos partenaires locaux, nous œuvrons pour leur garantir un accès à l’éducation, à l’emploi et aux services essentiels, malgré les restrictions.

👉 Pour les soutenir concrètement :