Ukraine : les femmes en première ligne d’un conflit qui dure
Entre guerre, reconstruction et résilience, les femmes ukrainiennes se battent pour leur sécurité et celle de leurs communautés, leurs droits et leur avenir. Retour sur trois années de guerre à grande échelle et sur le rôle central des femmes dans la réponse humanitaire et les efforts de paix.
Moldavie - Personnes fuyant l'offensive militaire en Ukraine Scène au poste frontière de Palanca-Maiaki-Udobnoe, entre la République de Moldavie et l'Ukraine, le 1er mars 2022. Des personnes fuient l'offensive militaire en Ukraine, cherchant refuge en Moldavie ou traversant le pays pour se rendre en Roumanie ou dans d'autres pays de l'UE. Photo : ONU Femmes/ Aurel Obreja
Depuis février 2022, l’offensive russe contre l’Ukraine a bouleversé des millions de vies. Derrière les chiffres, les frappes et les négociations diplomatiques, un autre front s’est imposé : celui des femmes ukrainiennes. Loin de se limiter au statut de victimes, elles sont devenues des actrices clés de la résilience collective, du soutien aux populations déplacées, de la reconstruction et des efforts de paix.
C’est pour rendre compte de cet engagement que s’est tenue la masterclass « La situation des femmes en Ukraine : entre crises multiples et résilience, un regard global sur trois années de guerre. », organisée par ONU Femmes France le 23 juin 2025. Une session riche en témoignages, expertises et appels à l’action, animée par Charlotte Saint-Arroman, Directrice exécutive d’ONU Femmes France.
Quand les femmes portent l’effort humanitaire
Dès les premiers jours de la guerre, en réalité dès 2014 avec l’annexion de la Crimée, les organisations de femmes ont pris en charge l’essentiel de la réponse humanitaire.
Pour Mariya Dmytriyeva, formatrice et militante pour les droits des femmes, consultante d’ONU Femmes en Ukraine sur l’agenda Femmes, Paix et Sécurité, leur rôle est clair : « Les organisations de femmes et de la société civile ont assumé 70 à 80 % du travail humanitaire, mais reçu moins de 10 % des financements. »
Une reconstruction sans les femmes est une reconstruction incomplète
Alors que les conférences sur la reconstruction de l’Ukraine se multiplient - Lugano (2022), Londres (2023), Berlin (2024) et Rome (juillet 2025) - les expert·es tirent la sonnette d’alarme : les considérations de genre restent marginales et ne sont pas toujours traduites dans les faits. Graziella Piga, experte senior en égalité de genre et inclusion sociale dans le cadre de l’agenda Femmes, Paix et Sécurité, et associée au Centre for Britain and Europe, explique : « On parle de milliards pour la reconstruction, mais très peu de projets incluent une analyse systématique du genre ou disposent d’équipes formées pour garantir que les fonds soient systématiquement dépensés conformément à des plans sensibles au genre. »
Selon elle, l’inclusivité doit être intégrée dès le départ. Un centre de santé reconstruit sans prendre en compte les besoins spécifiques des femmes — comme l’accès aux soins gynécologiques — risque d’exclure celles et ceux qui en ont le plus besoin. « Ce ne sont pas des détails secondaires : ce sont des aspects fondamentaux d’une reconstruction sensible au genre, en particulier dans les zones rurales ou isolées. »
Invisibles dans la prise de décision, malgré une implication massive
Les femmes sont très présentes dans les mécanismes communautaires : 77 % des membres des conseils d’aide aux personnes déplacées internes sont des femmes, dont deux tiers occupent des rôles de leadership. Mais ces fonctions sont non rémunérées. « Ce travail reste invisible et non reconnu, tandis que dans les instances officielles, seules 5 des 21 ministres sont des femmes », rappelle Aslihan Ozcan, Responsable des partenariats et des innovations d’ONU Femmes en Ukraine.
Un constat renforcé par une enquête menée début 2025 : plus de 70 % des organisations de femmes interrogées étaient en difficulté financière. « Ces structures travaillent dans les zones délaissées par les autres. Les oublier, c’est affaiblir la réponse humanitaire toute entière. »
Un agenda Femmes, Paix et Sécurité sous tension
L’agenda Femmes, Paix et Sécurité a permis des avancées importantes en Ukraine, notamment à travers l’élaboration de plans d’action locaux. Mais sur le terrain, les limites sont évidentes.
« Impliquer les femmes dans les processus décisionnels locaux est essentiel, car cela permet une meilleure prise de conscience et renforce la responsabilité autour des divers besoins et priorités en matière de sécurité. Mais sans financement, ces plans ne peuvent pas être mis en œuvre et restent largement à l’état d’intentions », souligne Graziella Piga.
« De nombreuses militantes, souvent engagées à titre bénévole, jonglent entre un emploi rémunéré, des responsabilités familiales et un investissement soutenu dans leur communauté. La charge cumulée, marquée par une fatigue émotionnelle et un épuisement physique, a un impact sérieux sur leur bien-être », ajoute-t-elle.
Par ailleurs, l’agenda lui-même reflète un déséquilibre, avec une forte concentration sur la réforme du secteur de la sécurité. Si cette priorité peut se comprendre dans le contexte du conflit en cours, Graziella Piga estime qu’elle doit impérativement s’accompagner d’une intégration réelle de la dimension de genre dans tous les autres piliers, y compris la relance et la reconstruction. Cela suppose de traiter à la fois les infrastructures « dures » et les dimensions plus « souples », telles que la cohésion sociale et les services sociaux.
Lutte contre la marginalisation et l’épuisement
« Il faut arrêter de penser que les droits des femmes peuvent attendre la fin du conflit », tranche Mariya Dmytriyeva. Pour elle, le sous-financement chronique, l’absence de reconnaissance et l’exclusion des femmes des processus décisionnels tiennent d’une forme persistante de misogynie.
Face à cette situation, ONU Femmes agit pour renforcer la coordination, la transparence et le soutien aux ONG locales. L’antenne ukrainienne compte aujourd’hui plus de 70 collaborateurs et collaboratrices, et s’appuie sur des mécanismes participatifs pour définir les priorités humanitaires. « Nous aidons à structurer les réponses, à former les équipes, et à créer des espaces sûrs pour les femmes – y compris pour leur santé mentale », explique Aslihan Ozcan.
Un message clair : pas de reconstruction sans les femmes
Qu’il s’agisse de santé, d’éducation, de cohésion sociale ou d’économie, les femmes ukrainiennes sont sur tous les fronts. La moitié des nouvelles entreprises créées en 2024 l’ont été par des femmes, malgré les destructions, les attaques et la charge accrue de travail domestique.
Pour ONU Femmes, leur présence dans la reconstruction n’est pas une option, c’est une condition de réussite.
« Les femmes savent gérer avec peu. Leur donner un rôle dans la distribution des ressources, c’est faire preuve d’intelligence collective. » - Mariya Dmytriyeva
Ce que nous pouvons faire depuis l’Europe
Les 3 expertes présentes à la masterclass appellent à une mobilisation renforcée de la communauté internationale. Cela passe par :
des financements directs aux organisations de femmes locales ;
une inclusion systématique de l’analyse de genre dans tous les projets humanitaires et de reconstruction ;
un plaidoyer politique fort pour garantir des processus de décision inclusifs ;
la valorisation des récits de résilience, au-delà des images de guerre.
« Même un simple partage sur les réseaux sociaux peut aider à briser la fatigue médiatique. Il faut continuer à raconter, à écouter, à soutenir », conclut Aslihan Ozcan.
ONU Femmes France appelle à l’action
Depuis le début de la guerre, ONU Femmes agit aux côtés des femmes ukrainiennes, pour qu’elles soient visibles, soutenues, financées et reconnues comme des actrices essentielles de la paix et de la reconstruction. Votre soutien peut faire la différence.