Deux ans après en Afghanistan : où en sont les droits des femmes sous les talibans ?

Il y a deux ans, les talibans se sont emparés du pouvoir en Afghanistan. Depuis, les autorités de facto mettent en œuvre de nombreuses restrictions en matière d’égalité genre. Celles-ci ont un impact direct sur la capacité des Afghanes à exercer leurs droits et à jouir de leurs libertés. Comment l'Afghanistan est-il devenu le territoire le plus répressif au monde pour les femmes ? Chronologie d’un pays en naufrage.

L’année 2021 : les Afghanes, leurs voix et leurs visages sont invisibilisés

Le 15 août 2021, les talibans entrent dans Kaboul, la capitale de l’Afghanistan, et reprennent le contrôle du pays. Aussitôt, les violations des droits humains des femmes et des filles se multiplient et empirent à un niveau alarmant. De décret en décret, les autorités de facto organisent progressivement l’exclusion systémique et institutionnalisée des Afghanes.


Dès septembre 2021, le ministère des Affaires féminines est supprimé puis remplacé par le ministère pour la Promotion de la vertu et la Répression du vice. La part de femmes parlementaires passe subitement de 28% à 0%, éliminant les Afghanes des instances décisionnaires de l'État. (1) Sans représentation politique, leurs perspectives, priorités et besoins sont aujourd’hui ignorés, et leurs droits bafoués.

La même année, en novembre, les autorités de facto interdisent les séries télévisées avec des actrices et donnent l’ordre aux nouvelles présentatrices de porter le hijab. En décembre, il devient proscrit pour les Afghanes de voyager à plus de 78 km de leur lieu de résidence sans mahram, et aux chauffeurs de taxi, d’accepter des passagères sans hijab. Les restrictions vestimentaires et à la mobilité des femmes desservent à présent leur libre, pleine et égale participation à la société.

L’année 2022 : les Afghanes voient leurs droits, leurs statuts et leurs conditions de vie plus sévèrement se détériorer

L’année 2022 signe l’interdiction aux filles de poursuivre l’école au-delà du primaire et aux femmes d’occuper la plupart des emplois à l’extérieur de leur domicile. 80% des filles et jeunes femmes afghanes en âge d’être scolarisées ne le sont pas.(3) 61% de femmes supplémentaires ont perdu leur emploi ou leurs activités génératrices de revenus en mars 2022.(4) Leurs chances d’autonomisation sont ainsi entravées voire annihilées, leur avenir et celui du pays tout entier, ébranlés, sans compter les risques élevés d’abus et d’exploitation.

En mars, une lettre ordonne aux compagnies aériennes d’empêcher les femmes d'embarquer en avion sans mahram sur les vols intérieurs et internationaux, et en mai, aux auto-écoles, de ne plus leur délivrer de permis de conduire. Il est par ailleurs conseillé aux Afghanes de rester à la maison, sauf en cas de nécessité, et dans le cas échéant, de sortir avec un hijab. Plus tard dans l’année, il leur devient prohibé de fréquenter les parcs, les salles de sport et les bains publics. En juillet, alors que l’accès aux services continue de se dégrader, il est interdit aux hommes et aux femmes de communiquer entre eux ou de traiter des patients du sexe opposé dans les hôpitaux de Kaboul.

Face à l’effondrement du système de santé, de nombreux cas de dépression, de suicide et de violence sont signalés en vain car les Afghanes rencontrent constamment des obstacles majeurs : peur, insécurité, restrictions à la mobilité, déficiences et pénuries de personnel, de fournitures et d'équipements, faible portée et accessibilité des services, soins spécialisés limités y compris en matière de santé mentale, reproductive, maternelle, néonatale et infantile. Déjà début 2022, seulement 10% des femmes déclarent pouvoir couvrir leurs besoins essentiels en termes de santé. (5) En somme, les Afghanes sont à ce jour privées d’enseignement secondaire et supérieur, confinées à leurs domiciles, avec des moyens de subsistance limités, des services essentiels quasi-inaccessibles, et gravement exposées aux violences.

L’année 2023 : le pays traverse une crise d’une ampleur sans précédent

C’est dans ce contexte déjà critique que les ONG internationales et nationales ont reçu l'ordre en décembre de suspendre immédiatement le personnel féminin afghan. En avril 2023, ces dernières sont aussi empêchées de travailler avec les Nations Unies en Afghanistan. Elles sont désormais dans l'incapacité de délivrer une assistance humanitaire vitale dont le fonctionnement, l’efficacité des organisations et la survie des Afghanes dépend. Leur expertise technique est pourtant indispensable pour soutenir les femmes et répondre à leurs besoins spécifiques. Ainsi, 83% des ONG internationales ou nationales, des organisations dirigées par des femmes et onusiennes ont totalement ou partiellement cessé leurs activités. (6)

Il en va de même pour les défenseuses des droits humains et pour les journalistes invisibilisées par la répression et la censure des médias. De plus en plus souvent surveillées, intimidées, menacées, agressées, arrêtées et emprisonnées, plus de 80% d’entre elles ont perdu leur emploi dans le secteur de la radio, par exemple. (7) Ces violences sont en hausse dans un contexte où les services pour les victimes sont décimés depuis août 2021, y compris pour recourir à la justice. Les autorités de facto ont dissous les tribunaux spécialisés pour les femmes et ont relevé toutes les femmes juges de leurs fonctions, au profit des châtiments corporels et des exécutions publiques. L'absence de mécanismes fonctionnels pour responsabiliser les auteurs des faits favorise dès lors l’impunité et la perpétuation des violences.

Et aujourd’hui ? ONU Femmes reste sur le terrain en Afghanistan

Aujourd’hui, la situation est plus que dramatique. 13,8 millions de femmes et de filles ont besoin d’une assistance humanitaire pour survivre en Afghanistan. (8) Le travail forcé des enfants, le mariage précoce et forcé ainsi que les déplacements involontaires se sont intensifiés. Les autorités de facto ont réduit les dépenses consacrées aux services sociaux de 81% en 2022 et continuent de limiter l'acheminement de l'aide. (9) Les talibans font non seulement reculer des décennies d'avancées difficiles en matière d'égalité de genre, mais freinent également les maigres perspectives de prospérité en Afghanistan. Interdire aux filles d'aller à l'école pourrait, par exemple, coûter à l'économie du pays jusqu'à 5,4 milliards de dollars. (10) Le gouvernement en place ne cesse d’attaquer et d’enfreindre les règles internationales, telles que la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’encontre des femmes, ce qui signale un retour aux politiques des années 1990. De plus, la fermeture progressive aux femmes des espaces politiques, sociaux et économiques en Afghanistan fournit un modèle dangereux pour d'autres groupes dans le monde qui cherchent à systématiser des idéaux misogynes et oppressifs. Les expert·es des droits humains rapportent maintenant que le déni systématique des droits et libertés des Afghanes peut équivaloir à une persécution fondée sur le sexe, ce qui est un crime contre l'humanité. (11)

ONU Femmes reste opérationnelle en Afghanistan et met tout en œuvre avec ses partenaires pour que les droits des femmes et des filles soient restaurés, protégés et respectés. Sur le terrain et dans toutes les instances, ONU Femmes plaide activement en ce sens, soutient la société civile, fournit une assistance technique pour garantir une réponse humanitaire adaptée aux besoins des femmes et des filles et assure l’accès des Afghanes aux services vitaux et à des moyens de subsistance. En particulier, depuis le tremblement de terre qui a grièvement frappé le pays en juin 2022, ONU Femmes facilite le soutien immédiat aux femmes affectées, produit régulièrement des analyses, des évaluations et des orientations politiques pour appuyer la réponse humanitaire, intègre le genre dans les mécanismes de réponse, pour garantir que les acteur·ices humanitaires prennent en compte leurs besoins spécifiques, et fournit un appui direct aux femmes leadeuses de la société civile, notamment en veillant à ce qu'elles soient reconnues comme des actrices clés.

« Il s'agit d'un défi sans précédent, mais notre engagement envers les femmes et les filles afghanes reste plus fort que jamais. Nous continuerons de rester en Afghanistan et nous continuerons d'innover, de réinventer et de repenser. Nous ferons tout notre possible pour assurer la fourniture d’une aide décisive pour la vie des femmes et des filles. Nous devons et nous tracerons la voie à suivre. Pour ONU Femmes, cette voie à suivre sera guidée par deux choses : les voix et les priorités des femmes et des filles afghanes, et nos principes. La lutte pour les droits des femmes en Afghanistan ne concerne pas seulement les droits des femmes et des filles afghanes. C'est un combat pour les droits de chaque femme dans le monde qui a déjà été opprimée ou réduite au silence simplement parce qu'elle est une femme. » (12) ONU Femmes Afghanistan, 2023

En janvier 2023, une délégation onusienne de haut niveau, conduite par la numéro 2 de l’ONU Aminaj Mohammed, avec Sima Bahous, Directrice exécutive d’ONU Femmes, s’est rendue en Afghanistan pour rencontrer les talibans, soutenir les femmes et les ONG affectées. Elles ont exigé prestement la fin des restrictions aux droits des femmes et des filles.

Après des décennies de sécheresse, de déclin économique, de conflits et de catastrophes naturelles récurrentes, l’Afghanistan est l’une des pires crises humanitaires au monde. 

28,8 millions de personnes ont besoin d’une assistance humanitaire, soit les deux tiers de la population, dont 77% de femmes et d’enfants. Alors que leurs besoins augmentent en flèche, l’accès à l’aide diminue drastiquement. Les Afghanes sombrent gravement dans la pauvreté et l’insécurité au détriment du développement de la société dans son ensemble. Cependant, elles continuent sans relâche à défendre et à lutter pour leurs droits et libertés. Il est urgent d’agir pour les soutenir dans leur résistance.

 

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Sources :

(1) ONU Femmes, Alerte Genre n°1 : Droits des femmes en Afghanistan : Où en sommes-nous ? (Gender alert I: Women’s rights in Afghanistan: Where are we now?), p.6, 15 décembre 2021. Accessible ici.

(2) Mahram, n. m. : Pour une femme musulmane, un homme de sa famille avec lequel elle ne peut pas être mariée, mais sous l'autorité duquel elle est placée.

(3) UNESCO, Journée internationale de l'éducation : pour investir dans les personnes, prioriser l'éducation (International Day of Education: To invest in people, prioritize education), p.2, 24 janvier 2023. Accessible ici.

(4) ONU Femmes, Analyse rapide inter-agences du genre en Afghanistan (Afghanistan Inter-agency Rapid Gender Analysis), p.26, 22 décembre 2022. Accessible ici.

(5) OMS, Protéger et améliorer les soins de santé : aperçu communautaire d'Afghanistan (Protecting and improving healthcare: Community insight from Afghanistan), p.13, Juin 2022. Accessible ici.

(6) ONU Femmes, Alerte Genre n°4 | Retour aux années 1990 ? Les droits des femmes sous les talibans (Gender Alert No. 4 | Back to the 1990s? Women’s rights under the Taliban), p.1, 9 mars 2023. Accessible ici.

(7) Nations Unies, Assemblée générale, Conseil des droits humains, Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits humains en Afghanistan (Situation of human rights in Afghanistan : report of the Special Rapporteur on the Situation of Human Rights in Afghanistan, Richard Bennett), p.16, 9 février 2023. Accessible ici.

(8) ONU Femmes, Alerte Genre n°4 | Retour aux années 1990 ? Les droits des femmes sous les talibans (Gender Alert No. 4 | Back to the 1990s? Women’s rights under the Taliban), p.1, 9 mars 2023. Accessible ici.

(9) ONU Femmes, Alerte Genre n°4 | Retour aux années 1990 ? Les droits des femmes sous les talibans (Gender Alert No. 4 | Back to the 1990s? Women’s rights under the Taliban), p.1, 9 mars 2023. Accessible ici.

(10) ONU Femmes, Alerte Genre n°4 | Retour aux années 1990 ? Les droits des femmes sous les talibans (Gender Alert No. 4 | Back to the 1990s? Women’s rights under the Taliban),  p.2, 9 mars 2023. Accessible ici.

(11) Nations Unies, Assemblée générale, Conseil des droits humains, Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits humains en Afghanistan (Situation of human rights in Afghanistan : report of the Special Rapporteur on the Situation of Human Rights in Afghanistan, Richard Bennett), p.4, 9 février 2023. Accessible ici.

(12) ONU Femmes Afghanistan, D'ONU Femmes Afghanistan à toutes les femmes et filles afghanes que nous servons (From UN Women Afghanistan to all the Afghan women and girls we serve). Consulté ici le 1er août 2023.

(13) OCHA, Afghanistan : Mise à jour de la situation humanitaire (Afghanistan: Humanitarian Update), 10 juillet 2023, p.3. Accessible ici.