Les femmes politiques en Colombie, un parcours à obstacles

En Colombie, les femmes n'occupent que 20 % des sièges au Congrès, cela, malgré l’instauration, il y a plus de dix ans, d’un quota qui prévoit la présence d’au moins 30 % de femmes dans les instances politiques. Les violences envers les femmes constituent l’un des principaux défis qui freinent la progression du pays vers la parité en politique. Johanna Melissa Rodríguez, María Camila Suárez et Mercedes Tunubalá témoignent.

Des inégalités systémiques dans la vie politique

Dans le monde, d’après les chiffres d’ONU Femmes, la proportion de femmes parlementaires est de 26 %. Avec ses 20 %, la Colombie fait donc partie des mauvais élèves. Pour remédier au problème, ONU Femmes promeut chaque année l’opération “Plus de femmes, plus de démocratie”. Ce programme, organisé en collaboration avec le gouvernement colombien, les partenaires internationaux, les médias et la société civile, a pour but de sensibiliser à la nécessité d'accroître la participation des femmes dans la vie politique et publique et d’éliminer les diverses formes de violence auxquelles elles sont confrontées.

Cette opération est plus que nécessaire en Colombie car, lorsqu'elles exercent leurs droits politiques, les femmes colombiennes sont souvent confrontées à l'humiliation, aux blagues sexistes et sexuelles, aux insultes, aux rumeurs sur leur vie privée et à la marginalisation. Elles sont également victimes d’exclusion, d'interruptions constantes lors des débats législatifs et d'un financement insuffisant pour leurs campagnes électorales.

Des attaques incessantes contre les femmes politiques colombiennes

Johanna Melissa Rodríguez, María Camila Suárez et Mercedes Tunubalá sont trois femmes politiques colombiennes qui s'efforcent depuis des années de changer la politique dans leur pays, en brisant les stéréotypes de genre et en affrontant le sexisme et la discrimination.

Mercedes Tunubalá est la première femme aborigène élue maire de la municipalité de Silvia, dans le département du Cauca. Vêtue de son costume traditionnel Misak, qu'elle porte toujours avec fierté, elle souligne qu'elle a rencontré de multiples formes de discrimination : « J'ai été rabaissée pour ma façon de m'habiller ; j'ai été attaquée parce que je suis une femme ; il y a des représentants du gouvernement qui nous ignorent parce que notre vision du développement n'est pas la même. Ils se moquent même de nous sur les réseaux sociaux », explique-t-elle.

Des discriminations vécues également par María Camila Suárez lors de sa campagne pour le conseil de Cúcuta, dans le département de Norte de Santander en 2019. Elle  raconte  qu'un autre candidat lui a demandé de se retirer, en déclarant : « Ils m’éliront plutôt que toi parce que je suis un homme et que j'ai de l'argent, alors retire-toi ». Elle ajoute « Ils nous disent toujours, à nous les femmes, de nous retirer. Les hommes ne se disent pas entre eux de faire de même. »

Un abandon économique des femmes politiques

Johanna Melissa Rodríguez, María Camila Suárez et Mercedes Tunubalá expliquent également qu'elles ont aussi dû mener leur campagne politique pratiquement toutes seules, avec peu ou pas de soutien financier.

« Lors de ma première campagne pour l'Assemblée, j'ai reçu un montant d’argent très faible de la part du parti... mais pour les autres élections, je n'ai jamais reçu d'argent pour ma campagne », raconte Johanna Melissa Rodríguez, politicienne depuis 17 ans dans le département du Putumayo.

« Nous avons fait une campagne de porte-à-porte sans argent, sans promettre de grands projets, mais en expliquant les besoins et en éduquant les gens », rapporte Mercedes Tunubalá, évoquant, en souriant, sa fierté d'avoir vaincu ses adversaires par la pédagogie et sans grands moyens.

L’affirmation du leadership féminin en politique pour éliminer les violences à l’encontre des femmes

Les trois femmes s'accordent à dire qu'elles n'ont pu persévérer qu'en faisant abstraction des actes de violence qu'elles ont subi, que ce soit pendant leur campagne ou dans l’exercice de leur mandat après leur élection.

« Ils ont fabriqué des ragots pour porter atteinte à mon honneur. Même le président de l'Assemblée a coupé mon micro pendant les sessions, il ne m'a pas laissé parler », raconte Johanna Melissa Rodríguez. María Camila Suárez aussi a fait face à des attaques similaires, mais admet qu'elles l'ont atteinte : « Ils ont inventé tellement de choses qu'à la fin de la campagne, je me suis sentie  déprimée et je me suis isolée pendant cinq jours. »

En Colombie, la violence contre les femmes en politique commence tout juste à être mise en lumière. Selon l'étude Femmes et participation politique en Colombie : Phénomène de violence contre les femmes en politique, réalisée par l'Institut néerlandais pour la démocratie multipartite, 63 % des femmes interrogées ont déclaré avoir été victimes de violences. Cependant, il n'existe pas de chiffres officiels sur la violence contre les femmes en politique dans le pays.

Bien que la Colombie n'ait pas encore adopté des dispositions  juridiques pour lutter contre la violence à l'égard des femmes dans la vie politique, il existe un mécanisme institutionnel qui guide les victimes pour qu'elles portent plainte et reçoivent un soutien jusqu'à ce que leur cas soit jugé.

« La loi pour la représentation des femmes existe, mais la nécessité de femmes en politique n'est pas reconnue. Il y a un long chemin à parcourir », déclare Suárez. « Nous devons nous soutenir mutuellement entre femmes politiques, car indépendamment des visions et des idées, notre expérience en tant que femmes est nécessaire en politique » conclut-elle.