Interview de Suzane, une artiste qui fait bouger les lignes vers l'égalité
Suzane est une autrice-compositrice-interprète française. Récompensée de la Victoire de la Révélation scène lors des Victoires de la musique 2020, elle est aujourd’hui une artiste talentueuse, engagée et... féministe. Elle a accepté de répondre à nos questions pour parler de ses engagements et de sa musique.
1) Suzane, dans une interview avec TerraFemina, vous vous définissez féministe. Que signifie pour vous être féministe ?
Le féminisme est arrivé assez tôt dans ma vie. Je me suis rendue compte très vite qu’être une fille, c’est être plus embêtée dans la rue, ne pas pouvoir jouer au foot, aider à mettre la table quand on ne le demande pas aux garçons... Plein de petites choses m’ont fait comprendre qu’il y avait une inégalité entre les garçons et moi. On pense que ce sont des sujets sans importance quand on est enfant, avec l'âge, on se rend compte que les inégalités se creusent. Je me demandais quelle était l’arme pour se battre contre cela. J’ai découvert le mot féminisme à mon adolescence et je me suis reconnue dans cette volonté de vouloir l’égalité entre les femmes et les hommes, de se battre contre la violence et l'oppression. En 2021, les femmes restent moins rémunérées que les hommes, je l’ai vécu quand j’étais serveuse. Beaucoup de femmes vivent cela aujourd’hui, je trouve cela aberrant. Heureusement que le féminisme existe, qu’il nous ressemble et qu’il n’est pas que pour les femmes. J’espère que ce sera la solution pour arriver à l’égalité.
2) À l'échelle mondiale, les femmes du secteur « des arts, du divertissement et des loisirs » représentent 31 % des postes de cadres dirigeant.e.s. Pensez-vous que la place des femmes dans les Arts, et notamment la musique, est en train d’évoluer dans le bon sens ? Parleriez-vous de l'essor d’une nouvelle génération d’artistes engagé.e.s, a l’instar de Angèle, Yseult, Pomme, Carla Luciani, Eddy de Pretto… ?
Il commence à y avoir une libération de la parole, cela va avec le contexte et l’époque dans laquelle nous vivons. Nous sommes des artistes de l’après vague #MeToo. Que cela soit Angèle ou Clara Luciani, toutes à notre manière, nous avons transposé le féminisme en musique. La parole se libère un peu partout, chez les artistes également. C’est notre rôle de le faire. Si nous ne le faisons pas, qui le fera ?
Quand on voit certaines chanteuses se faire insulter sous prétexte qu’une chanteuse devrait uniquement être belle. C’est scandaleux d’entendre ces mots en 2021. Nous voulons casser cela. Nous exprimons notre colère en chanson, dans les interview ou ailleurs, pour que cette pensée unique et réductrice cesse. On doit mener des actions pour condamner les agressions qu’elles soient verbales, physiques, sur internet, ou n’importe où. Nous ne pouvons plus laisse passer cela.
Il y a de plus en plus d’artistes féministes. Je suis très heureuse de faire partie de cette scène des femmes qui arrive, en France, font bouger les lignes. Je ne sais pas si la musique va changer la société mais j’espère que cela contribuera à réduire les violences faites aux femmes et le patriarcat.
3) 81 % des femmes en France ont déjà été victimes de harcèlement sexuel dans les lieux publics*. Dans votre titre “SLT”, vous parlez du harcèlement de rue, dans le milieu du travail, en ligne... Quel est le message que vous avez voulu transmettre ?
Cette chanson était en moi depuis très longtemps, mais il a fallu que je comprenne vraiment ce qui se passe avant de pouvoir mettre des mots dessus. Chaque femme a vécu malheureusement une des situations que je décris, que cela soit sur Internet, dans la rue, etc. Partout dans le monde, quand on est une femme, on se fait siffler, harceler une, deux, trois ou quatre fois dans la journée. Quand on rentre, on digère.
On nous a appris à fuir, on nous a conditionné à subir sans jamais se défendre toujours en étant silencieuses, sans pleurer car une femme qui pleure ça agace. C’est dans notre ADN de nous protéger, un sentiment qui se développe assez vite et nous met dans une position de proie.
Dans ma chanson, je dis “Bats toi fillette”. L’éducation des filles doit changer, celle des garçons aussi. Il ne faut pas apprendre aux filles à se taire, à marcher en rasant les murs. En tout cas, je n’ai pas envie que ma fille vive en ayant peur de rentrer tard le soir. C'est Hunger Games la vie d’une fille en 2021, ce n’est pas normal. Comment prendre notre place dans un monde où l’on ne se sent pas en sécurité ?
4) Dans “Pendant 24h”, avec Grand Corps Malade, vous dénoncez les stéréotypes et les inégalités que vivent les femmes. Pensez-vous que les hommes sont des alliés nécessaires pour lutter contre les violences faites aux femmes et pour faire avancer l’égalité de genre ?
C’est certain ! Il y a des hommes qui arrivent à comprendre ces sujets, même s’ils ne les vivent pas directement.
Quand on a écrit la chanson avec Grand Corps Malade, c’était facile pour moi de trouver des choses aberrantes. Nous avons soulevé des clichés qui encore très présents dans la société, qui sont oppressants quand on les vit au quotidien.
Nous avons des alliés bien sûr, Grand corps malade en est un exemple. Il est féministe, il parle de femmes, notamment avec l’album titré “Mesdames”. Il a tout de suite été traité de démagogue par une partie des hommes.
On ne devrait plus se faire la guerre pour l’égalité. J’entends beaucoup de garçons et d’hommes dire que le féminisme prend beaucoup de place, que les féministes sont hystériques. C’est agaçant. Mais heureusement, nous sommes entouré.e.s d’hommes qui sont en avance sur ces questions. Sans doute une question d’éducation.
5) Dans votre profil Instagram, vous faites référence à un épisode lesbophobe envers vous et votre compagne, dans votre titre "P'tis gars” vous parlez de la difficulté de faire son “coming out”. Aujourd’hui, il y a de plus en plus de personnes, dont les artistes, qui parlent librement de leur orientation sexuelle. toutefois les agressions et les discriminations contre les personnes appartenant aux communautés LGBTQIA+*** sont encore très présentes en France comme ailleurs. Est-ce important pour vous de sensibiliser sur ces sujets ?
Bien sûr car je le vis de plein fouet. Adolescente, ça été compliqué de l’annoncer à ma famille, de faire mon coming out. Il faut se justifier auprès de son entourage, sa famille, ses amis, au travail. J’ai déjà subi des agressions homophobes au travail. Cela arrive tous les jours. Encore récemment, j’ai pris connaissance de l’agression d’une artiste que je connais. Elle et sa compagne se sont faites agresser par un patron de bar. On entend beaucoup que les gays sont de plus en plus présents, que c’est “à la mode”. Ce n’est pas une mode, c’est juste que les gens se libèrent, qu’ils en ont marre de se cacher. Nous, les artistes, on est là pour afficher cela.
Je veux plus jamais que quelqu’un.e puisse ressentir le sentiment de solitude face a son coming out. J’ai pu rencontrer des jeunes de l’association Refuge. Le rejet existe encore beaucoup. Quand on voit que des personnes prennent de leur temps pour descendre dans la rue et chercher à supprimer des liberté à d’autres, ça me choque toujours. Je crois qu’aujourd’hui, les artistes doivent de plus en plus prendre la parole.
Quand je chante cette chanson en concert, que des personnes me remercient, je me dis que je me dois d'écrire des chansons comme celle-ci. Je suis heureuse d'être à leur côté, de savoir qu’elle raisonne à ce point dans leur vie. C'était une urgence et une évidence pour moi.
6) Vos paroles sont engagées et fortes contre les inégalités de genre, le harcèlement, les discriminations, ou encore le climat. Pensez-vous que la musique, ou l’art en général, puisse faire évoluer la société vers un monde plus juste, égalitaire, qui respecte les droits des femmes ?
L’art rassemble. Sur une seule chanson, on voit des personnes très différentes, en termes de religions, de couleur de peau, de sexualité, ou de genre. Tout le monde est réuni sur ce même message, cela me donne de l’espoir. Mettre des sujets sociétaux dans la pop musique, c’est se connecter à la vraie vie. Les chansons accompagnent nos vies.
Les artistes sont là aussi pour raconter leur histoire, pour représenter celles et ceux qui n’ont pas la parole. Moi j’ai cette chance d'être écoutée. Peut-être qu'avec mes mots, je peux les soulager d’un poids. Rien que pour cela, je pense que l’art est essentiel. C’est grâce à lui que nous ne devenons pas fous ! C’est notre moyen de s'élever, de s'enrichir et de découvrir les autres. L’art, c’est l’humain avant tout.
7) Avez-vous un message à transmettre à des jeunes filles qui n’osent pas se lancer dans la musique ?
Je souhaite qu’elles soient nombreuses. J’espère qu’elles auront envie de s’exprimer et surtout, de vivre la vie qu’elles veulent, sans se censurer parce qu’elles sont femmes. Oui tu es une fille et tu peux aller jusqu’au bout, ne laisse aucune personne te dire que ce n’est pas possible, car tu n’est pas assez belle, assez grande, que tu n’es pas assez dans le format ! Aujourd’hui, on essaye de libérer les femmes. J’espère que la prochaine génération va arriver libérée et nous étonnera en poursuivant le travail que leurs ainées ont réalisé depuis des générations. J’espère qu’on ne dira plus qu’il n’y a pas assez de femmes, des artistes mais aussi des labels. Je veux voir des femmes directrices dans les labels, vivement les patronnes !
En un mot :
Quelle émotion est votre moteur ?
La liberté - être libre, pour autant que les autres le sont aussi !
Un livre et un film que vous emporteriez avec vous au bout du monde ?
Un livre : King Kong théorie - Virginie Despentes
Un film : Fleur du désert - Sherry Hormann
Propos recueillis par Carlotta Gradin et Catherine Reichert
*Ipsos - Sondage international sur le harcèlement sexuel dans l’espace public. L’Oréal Paris. Avril 2019
**Canada, France, Inde, Italie, Mexique, Espagne, Royaume-Uni et États-Unis
*** Acronyme désignant les personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres, queer, intersexes, et/ou asexuelles.