Pourquoi est-il crucial d'inclure les femmes dans les processus de paix?

Malgré deux décennies de résolutions, d’analyses et de plaidoyers politiques pour intégrer les femmes aux processus de paix, le compte n’y est pas. Pourtant partout dans le monde, les femmes sont des actrices incontournables pour la construction d’une paix durable.

Photo : UN Women / Ryan Brown

Photo : UN Women / Ryan Brown

 

Vingt ans sont passés depuis l'adoption de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui reconnaît l’impact spécifique des conflits sur les femmes et les filles et la nécessité de renforcer leur rôle dans la prévention et la résolution des conflits ; depuis, dix autres résolutions ont été adoptées (1). Ces dernières ont permis de défendre les droits des femmes et de prendre des mesures sexo-spécifiques dans des contextes bien précis. Malgré cela, les femmes continuent d’être absentes et invisibilisées dans les processus de paix. Entre 1992 et 2018, on compte seulement 13 % de négociatrices, 3 % des médiatrices et 4 % de signataires de grands processus de paix (2). Seulement deux femmes dans l’histoire ont été cheffes de négociations, Miriam Coronel Ferrer aux Philippines et Tzipi Livni en Israël. 

Image2.png
 

Le compte n’y est pas et c’est bien dommage car la participation directe des femmes peut accroître la durabilité et la qualité de la paix. Lorsqu’elles participent aux processus de paix, les accords présentent plus souvent des dispositions relatives à l’égalité de genre (3) ; seulement 29 accords de cessez-le-feu sur 267 signés entre 1990 et 2016 contiennent des mesures sensibles au genre (4). Le résultat de l’accord a 35 % de chances supplémentaires de durer au moins 14 ans (5).

Les femmes construisent la paix même en dehors des tables de négociations, elles se mobilisent au niveau local et mènent des actions de terrain pour mettre fin aux hostilités et promouvoir le dialogue. Plusieurs exemples montrent leur impact fort et durable, par exemple lors des accords de paix en Colombie entre le gouvernement et les Forces armées révolutionnaires de Colombie – Armée populaire (FARC-EP). En 2012, parmi les invité.e.s à la table des négociations il n’y avait aucune femme (6). C’est suite à la mobilisation acharnée des colombiennes qu’un an plus tard, pendant les pourparlers qui ont lieu à La Havane, elles représentaient un tiers des délégué.e.s de chaque partie. Aujourd’hui, certaines d’entre elles sont à la tête du processus de justice transitionnelle du pays et occupent les plus hauts postes de direction dans plusieurs institutions, y compris la présidence de la Juridiction spéciale pour la paix. L’accord final signé en 2016 est salué comme un modèle d’inclusivité et d’intégration des questions de genre (7). Il faut tout de même souligner que sa mise en œuvre se fait très lentement, 51 % des dispositions relatives à l’égalité et aux droits des femmes n’avaient pas encore été mises en application en juin 2018 (8). Cela montre, comme le signale le rapport du Secrétaire général, à quel point la participation effective des femmes est essentielle à l’exécution des accords, une fois signés.

Autre exemple marquant, l’accord de paix entre le gouvernement des Philippines et le Front Moro de Libération Islamique en 2014. Au moment de la signature, un tiers des négociateur.ice.s étaient des femmes et les instances qui ont contribué au processus de paix étaient majoritairement féminines. Leur influence a participé à la mise en place de clauses qui ouvrent en faveur des droits des femmes et de leur autonomisation. Huit des seize articles de l’accord mentionnent des mécanismes pour les inclure à la gouvernance et les protéger contre les violences.

Si elles ne participent pas directement à la table des négociations, les femmes ne cessent pas de se mobiliser à travers d’autres types d’actions. Par exemple, en 2017 des femmes palestiniennes ont marché avec des femmes israéliennes pour exiger un accord de paix entre les deux territoires. Plus récemment en Biélorussie, où des milliers de femmes ont appelé à manifester pacifiquement après la remise en cause de l’élection présidentielle. 

Leur engagement n’a pas cessé en temps de crise sanitaire. Artisanes de la paix, elles ont continué à prêter secours à leurs communautés. Par exemple au Cameroun, elles se sont mobilisées pour faire face aux violences infra familiales et à porter de l’aide sanitaire (9). Au Yémen, neuf réseaux de femmes yéménites ont publié une déclaration conjointe pour demander le cessez-le-feu (10). 

Il est essentiel d’inclure les femmes dans les négociations, mais aussi dans les pourparlers, les comités techniques et les travaux de la société civile. Tous ces niveaux sont essentiels pour parvenir à leur inclusion et à la prise en compte des spécificités qui touchent les femmes et les filles dans les conflits et post-conflits. Toutefois, il est nécessaire de sortir des chemins battus et de ne pas reléguer aux femmes seulement les domaines du « care », de l’éducation ou de la protection sociale, des secteurs encore trop souvent associés à elles en raison des stéréotypes présents dans nos sociétés. Les femmes ont leur place partout où les décisions sont prises, disait Ruth Bader Ginsburg, membre de la Cour suprême des Etats-Unis. La défense, la justice et la sécurité touchent les hommes comme les femmes et ces dernières doivent être au cœur des réformes pour impulser les besoins de tou.te.s et ne pas reproduire un système androcentré.

 

Carlotta Gradin


Pour en savoir plus sur le sujet Femmes, Paix et Sécurité, rendez-vous le 15 octobre 2020 pour notre Forum digital. Plus d’information et inscription ici.


(1) 1325 (2000); 1820 (2009); 1888 (2009); 1889 (2010); 1960 (2011); 2106 (2013); 2122 (2013); 2242 (2015), 2467 (2019), et 2493 (2019).

(2) Les données proviennent du Council on Foreign Relations (consulté le 23 septembre 2020). Women’s Participation in Peace Processes [Participation des femmes aux processus de paix].

(3)  True, J. & Riveros-Morales, Y. (2018). Towards inclusive peace: Analysing gender-sensitive peace agreements 2000–2016  [Vers une paix inclusive : Analyse des accords de paix faisant place aux femmes 2000–2016].

(4) R. Forster and C. Bell, Gender Mainstreaming in Ceasefires: Comparative Data and Examples [L'intégration de la dimension de genre dans les accords de cessez-le-feu : Données comparatives et exemples]

(5) M. O’Reilly, A. Ó Súilleabháin, T. Paffenholz, Reimagining Peacemaking: Women’s Roles in Peace Processes [Réimaginer le rétablissement de la paix : Rôles des femmes dans les processus de paix] 

(6) Sauf la présence de la modératrice norvégienne, les négociations avaient en effet débutées en Norvège.

(7) Pour aller plus loin :  Dr. V. M. Bouvier, L’égalité des sexes et le rôle des femmes dans le processus de paix colombien  

(8) Rapport du Secrétaire général sur les femmes et la paix et la sécurité (S/2019/800), par. 23. Kroc Institute for International Peace Studies et autres, « Special report of the Kroc Institute and the International Accompaniment Component, UN Women, Women’s International Democratic Federation, and Sweden, on the monitoring of the gender perspective in the implementation of the Colombian Final Peace Accord », octobre 2018.

(9) https://icanpeacework.org/2020/05/07/how-do-women-peacebuilders-cope-with-rising-domestic-violence-and-the-humanitarian-impacts-of-covid-19/

(10) https://www.unwomen.org/-/media/headquarters/attachments/sections/library/publications/2020/policy-brief-covid-19-and-conflict-en.pdf?la=en&vs=4621