Interview de Abdelaali El Badaoui, Président-Fondateur de Banlieues Santé et Café des Femmes

 
Crédits : David Monfort

Crédits : David Monfort

« Je suis convaincu qu’un système où les femmes et les hommes s’engagent main dans la main, pour une société meilleure ne pourra que fonctionner. » Abdelaali El Badaoui


Abdelaali El Badaoui met en réseau les femmes vivant dans la précarité

Débutant sa carrière par des petits boulots dans le milieu hospitalier, Abdelaali El Badaoui a toujours su aller au bout de ses ambitions. Après avoir obtenu son diplôme en soins infirmiers, il décide de se lancer dans entrepreneuriat en créant Banlieues Santé, une association, œuvrant pour l’inclusion sociale et médicale, des personnes habitant dans les QPV٭ et les zones rurales. C’est dans ce contexte, qu’il a lancé le Café des Femmes.

 
 

Comment est né votre projet, le Café des Femmes ?

Abdelaali El Badaoui :  Lorsque j’ai commencé à mettre un pied dans le domaine hospitalier, je me suis rendu compte que la santé avait un grand impact dans la construction d’une femme ou d’un homme issu.e.s d’un quartier populaire. Une personne qui est en mauvaise santé, ne peut se former ou travailler, par exemple. A partir de cela, j’ai compris que le potentiel des professionnel.le.s de santé ne devait plus uniquement s’exercer au sein d’un hôpital, mais aussi chez le domicile du.de la patient.e. C’est la raison qui m’a poussé à lancer, Banlieues Santé. Une fois sur le terrain, lorsque je me rendais au domicile de mes patient.e.s, je me suis aperçu que les femmes affrontaient au quotidien de nombreuses difficultés. Au-delà de la perte de confiance en soi - notamment, à la suite d’un cancer - ces femmes faisaient face, quotidiennement, à de graves problématiques, comme le chômage, la pauvreté, l’endettement, le difficile accès à l’éducation, la violence ou encore le trafic de drogues.

Les personnes extérieures ont tendance à les stigmatiser dû à ce qu’elles sont (des femmes en situation de prostitution, des migrantes, des mères célibataires, des personnes issues de l’immigration ou sortant de prison, etc.) alors qu’elles sont l’essence même de leur quartier ! Lorsqu’il y a un problème dans leur quartier, ce sont elles qui cherchent les solutions. Par exemple, lorsqu’il y a dans les écoles, des points de drogue, certaines d’entre elles organisent des rondes dans les rues pour sensibiliser les jeunes et chasser les dealers. Avec des profils aussi riches, il était important de leur donner la parole, autour d’une table. Avec mon association, nous avons donc organisé des tables-rondes. Parmi les choses qui avaient été soulignées par ces femmes : le sentiment d’abandon et l’envie d’avoir un lieu où elles pourraient toutes se retrouver. C’est ainsi, que nous avons conçu le Café des Femmes.

En quoi consiste cette initiative ? 

A.E.B : Le Café des Femmes est un lieu où les femmes peuvent se retrouver et trouver du temps pour elles, à côté de leur travail ou de leur vie de maman. D’un point de vue structurel, cet endroit est composé d’une salle de sport, d’une salle de conférence, de bureaux, ou encore d’une cuisine. Un espace enfant a également été mis à disposition pour les femmes qui ne peuvent pas faire garder leur enfant. 

L’idée, c’est que quand elles viennent, on réponde à tous leurs besoins. Si par exemple, une femme souhaite avoir un soutien dans sa recherche de logement, de formation, d’emploi, nous allons l’aider. Il en sera de même, pour une femme qui cherche simplement à faire une activité sportive, artistique, ou culinaire. Notre structure proposera différents programmes (formation à entrepreneuriat, ateliers de prise de parole en public et de confiance en soi, ateliers beauté, cours de cuisine, cours de danse, etc.) adaptés à leur demande. Pour que cela se concrétise, nous travaillerons en réseau avec des institutions comme la Caf, la sécurité sociale, la Banque de France, ou encore des centres culturels mais aussi avec différent.e.s professionnel.le.s (psychologues, travailleur.euse.s sociaux, cadres, médecins, infirmièr.e.s). Le cœur même de notre initiative, c’est de faire que les femmes se saisissent de ce lieu et créent leur propre emploi et/ou initiative, sans qu’on leur impose quoi que ce soit. Le premier Café des Femmes, ouvrira d’ailleurs ses portes à Clichy-la-Garenne en avril prochain.

Quelles ont été les difficultés rencontrées au cours de ce projet  ?

A.E.B. : Aujourd’hui, nous rencontrons des difficultés pour financer ce projet tant par les établissements publics que par les établissements privés. Nous sommes notamment à la recherche d’institutions privées qui disposent de locaux vides à nous prêter, mais aussi des entreprises souhaitant mettre des moyens humains  - notamment par le biais de mécénat de compétences ou l’investissement dans l’immobilier - pour installer un Café des Femmes.

Quels sont vos objectifs pour ce projet ?

A.E.B. : Mon ambition serait d’implanter le Café des Femmes dans les quartiers les plus sensibles et les territoires ruraux de France, les DOM-TOM, mais aussi dans d’autres zones du monde où la condition des femmes est précaire (le continent africain, l’Inde, l’Amérique latine, par exemple).

En quoi, lancer un projet pour les femmes était-il important pour vous ?

A.E.B. : Culturellement, en tant que fils d'immigré marocain, on m’a toujours appris à respecter les femmes. Selon moi, les femmes sont la “materia prima” (matière première en italien, NDLR) du cercle vertueux. Ce sont les lumières, et sans elles, le monde s’éteindra. Ce sont elles qui donnent naissance, éduquent et accompagnent chacun.e de nous. Si la condition des femmes est menacée, notre écosystème le sera aussi. Il est donc nécessaire que les hommes s’engagent à leur côté. Je suis convaincu qu’un système où les femmes et les hommes s’engagent main dans la main, pour une société meilleure ne pourra que fonctionner. De ce fait, j’ai décidé de m’engager avec elles et de mettre tous les moyens dont je dispose pour leur venir en aide.

Quel message passeriez-vous aux hommes pour les amener à s’engager davantage auprès des femmes ?

A.E.B. : N’ayez pas peur de vous engager auprès des femmes. Tout le monde a à y gagner. Cela renforcera nos liens, mais aussi notre société.

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Interview par Sabrina Alves