Forum Génération Égalité, en route vers Beijing+25 : où en est la France ?

© ONU Femmes / Ryan Brown 2019

© ONU Femmes / Ryan Brown 2019

En 1995, 189 pays de tous les continents se réunissaient dans le cadre de la Conférence de Beijing et adoptaient à l’unanimité la Déclaration et le Programme d’action de Beijing, soit le cadre d’autonomisation des femmes et d’égalité entre les femmes et les hommes le plus progressiste et complet à ce jour. Depuis, sur une base quinquennale, les progrès quant à la mise en œuvre du Programme d’action de Beijing sont recensés et de nouvelles mesures et initiatives sont adoptées. Or, des lacunes persistent malgré ces efforts. 

25 ans après l’adoption du Programme d’action de Beijing, ONU Femmes organise, aux côtés des gouvernements français et mexicain, le « Forum Génération Égalité » afin d’accélérer les efforts en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes. Ce forum  se veut un rassemblement mondial de représentant.e.s de la société civile, d’États et du secteur privé cherchant à dresser un bilan complet des progrès accomplis depuis 1995 et à élaborer un programme de mesures permettant d’atteindre véritablement l’égalité entre les femmes et les hommes avant 2030.

Un bilan des progrès réalisés par la France dans le cadre de la Plateforme d’action de Beijing a déjà été produit et publié par l’administration française en juillet 2019 et complété en octobre dernier dans un rapport additionnel par le Haut Conseil à l’Égalité (HCE) entre les femmes et les hommes. Ces bilans font état des lois adoptées ainsi que des mesures mises en place afin de respecter les engagements pris par la France dans le cadre de la conférence mondiale de Beijing et de rappeler l’attachement de la République et de la société civile françaises face à ces engagements. 

Les violences faites aux femmes : encore du travail à faire

Les dernières années ont été marquées par la mise en place de mesures de lutte contre les violences faites aux femmes en France. Nous faisons référence, entre autres, à la loi du 4 août 2014 pour l’égalité entre les femmes et les hommes qui a comme objectif de combattre les inégalités dans les sphères privée, professionnelle et publique. Cette loi multidimensionnelle vise notamment le renforcement des mesures d’accompagnement des victimes et de l’ordonnance de protection en cas de violences conjugales, la durée du congé parental, le respect de l’image des femmes dans les médias et la parité dans les instances dirigeantes politiques et associatives. 

Plus récemment, le Grenelle contre les violences conjugales, qui s’est conclu en novembre dernier, visait une prise d’engagements concrets et collectifs afin de lutter de façon plus efficace contre les violences conjugales. Certains sujets sont ressortis des discussions et des résultats du Grenelle dont la nécessité de renforcer la formation de l’ensemble des professionnel.le.s impliqué.e.s, incluant les professionnel.le.s de la santé, le personnel éducatif ainsi que les membres des forces de l’ordre, dans le but de faciliter le repérage et le signalement de cas de violences et la prise en charge des victimes. Par ailleurs, quelques mesures ont déjà été annoncées, notamment l’adoption du bracelet électronique anti-rapprochement posé sur l’auteur de violences et munissant la victime de récepteur alertant les forces de l’ordre en cas de rapprochement ainsi que l’augmentation de places d'hébergement  et de logements temporaires.

Au niveau des impacts, ces mesures sont aujourd’hui, plus de cinq ans après leur instauration, davantage symboliques qu’effectives. Les violences dont sont victimes les femmes en France n’ont pas diminué. Selon le décompte alarmant publié par le collectif « Féminicides par compagnon ou ex » sur les réseaux sociaux, en 2019, une femme a été tuée tous les deux jours en France, ce qui représente une augmentation notable depuis 2018 où une femme était tuée tous les trois jours. Ce n’est pas tout : au niveau des autres types de violence, les chiffres sont également trop élevés. Selon les données publiées dans le rapport du HCE, en 2017, 95 000 femmes majeures avaient déclaré avoir été victimes de viols et/ou de tentatives de viols. Parmi ces femmes,  moins de 10 % portent plainte et seule une plainte sur 10 aboutit à une condamnation. 

Écart salarial : encore tôt pour se prononcer

En plus des violences physiques, les femmes sont également victimes d’une société encore trop patriarcale qui se concrétise, entre autres, dans le monde du travail par l’inégalité salariale, l’inégale répartition des emplois, le manque de femmes occupant des postes à responsabilité, et plus encore. En France, les postes de direction sont majoritairement occupés par des hommes : ceux-ci représentent 83.3% des président.e.s de conseils régionaux, 84% des maires et 90.1% des président.e.s de conseils départementaux. En ce qui concerne le secteur privé, les chiffres sont un peu plus réjouissants. Les postes au sein des conseils d’administration de grandes capitalisations boursières sont maintenant occupés à 44% par des femmes, soit une progression impressionnante depuis 2009, où ils ne l’étaient qu’à 10%. Toutefois, pour les entreprises qui n’ont pas à se soumettre aux obligations paritaires de la loi Copé Zimmermann de 2011, les femmes n’occupent qu’environ 18% des postes dans les comités de direction. Selon l’édition 2018 du rapport “Global Gender Gap” du World Economic Forum, au rythme auquel nos sociétés avancent, il faudra 108 ans afin de parvenir à la parité entre les femmes et les hommes dans le monde.

Comment expliquer cette réalité ? Les femmes se retrouvent souvent, à un moment ou un autre de leur carrière, immobilisées face à un plafond de verre ou sur un « sticky floor » c’est-à-dire le fait d’être objet des pratiques discriminatoires qui empêchent certains groupes de personnes, souvent des femmes, de gravir les échelons, les coinçant dans les postes inférieurs. Ultimement, ces obstacles limitent leur développement professionnel et rendent difficile la réduction de l’écart salarial. Selon les données d’un rapport de 2017 de l’OCDE, en France, à temps de travail, poste et compétences égales, un écart de salaire médian de 9.9% entre les femmes et les hommes persiste. Or, toutes qualifications, tous postes et tous temps de travail confondus, les femmes touchent 24% de revenus de moins que les hommes. Ces chiffres démontrent à la fois l’inégalité des emplois accessibles aux femmes et aux hommes – les femmes étant plus nombreuses à occuper des emplois non-qualifiés et à mener les activités économiques les moins rémunératrices – et la présence de nombreux obstacles aux développement professionnel auxquels se heurtent encore aujourd’hui de nombreuses femmes françaises. Pour remédier à cette situation, des politiques publiques visant notamment l’élimination de l’écart salarial et une meilleure répartition des responsabilités familiales ont été mises en place au cours des dernières années. Ces mesures cherchant à mettre fin à l’une des manifestations les plus visibles et répandues de l’inégalité des genres sont certes vues d’un bon œil, mais il est  encore tôt pour en faire l’évaluation. 

Pour une diplomatie féministe plus inclusive

Sur la scène internationale, la France s’est démarquée à partir de 2018 par l’affirmation d’une diplomatie féministe afin d’assurer une meilleure cohérence entre sa politique nationale et internationale et de faire de l’égalité entre les femmes et les hommes un pilier transversal de l’ensemble des enjeux de la diplomatie française. De plus, dans le cadre de sa présidence du G7 en 2019, la France a fait suite aux engagements du Canada qui, en son rôle de président en 2018, avait fait de l’égalité des genres son cheval de bataille, et a renouvelé le conseil consultatif sur l’égalité entre les femmes et les hommes. Cette action assure la présence de cet enjeu dans l’ensemble des discussions tenues lors du G7. 

Malgré ces efforts, les femmes françaises restent encore trop peu nombreuses à participer à la conception et à la mise en œuvre de cette diplomatie féministe. Selon le récent rapport du HCE, les postes d’ambassadrices ne sont occupés qu’à 26% par des femmes et ceux de directrices et de cheffes de services ne le sont qu’à 25%. En outre, l’expertise des associations féministes nationales et internationales n’est pas suffisamment sollicitée dans la conception, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques et initiatives dédiées à l’égalité entre les femmes et les hommes. Selon les résultats d’un sondage YouGov, 70% de la population française est d’avis que l’aide au développement devrait financer principalement les organisations internationales ainsi que les ONG et les associations dans la lutte contre la pauvreté, une problématique qui, globalement, affecte davantage de femmes que d’hommes. 

2020 : une année porteuse de promesses

Enfin, bien qu’au cours des cinq dernières années, les progrès envers l’égalité entre les femmes et les hommes puissent sembler trop lents, le tableau est loin d’être complètement négatif. Les dernières années ont également connu d’importants développements à plusieurs niveaux. ONU Femmes France rappelle que la lutte pour l’égalité des femmes et des hommes devient un enjeu qui fait de plus en plus l’unanimité. Cette cause n’est maintenant plus portée que par des filles et des femmes, mais également par des garçons et des hommes, qui s’avèrent être d’indispensables alliés. Qui plus est, l’année 2020 verra la tenue du Forum Génération Égalité, un évènement rassembleur et une campagne prometteuse avec un grand potentiel pour atteindre l’égalité entre les femmes et les hommes et apporter des améliorations dans d’autres thématiques qui touchent les femmes et les filles.

Frédérique Lefort