Interview de Véronique Moreira, Présidente de l’antenne française de Women Engaged For a Common Future (WECF)

Véronique Moreira est Présidente de l’antenne française de Women Engaged For a Common Future (WECF), réseau engagé pour la lutte contre le changement climatique et pour l’égalité femmes-hommes.

“C’est un enjeu très important de croiser les sujets genre et climat et de montrer qu’il vaut mieux sortir des silos et aborder cela de manière globale.” 

Crédit photo : WECF France

Crédit photo : WECF France

Pouvez-vous nous présenter en quelques mots votre organisation WECF, son objectif et ses actions ?

Women Engaged for a Common Future (WECF) est un réseau international créé en 1994 à la suite du Sommet de la Terre à Rio. Dans ses actions il croise les questions du développement soutenable et l’égalité entre les femmes et les hommes. Il travaille sur les 17 Objectifs du Développement Durable (ODD), avec un focus sur la santé, l’égalité femmes-hommes et le climat. Son action combine trois axes : la sensibilisation du grand public, la formation des professionnel.le.s et la construction de plaidoyers envers les instances nationales, européennes et internationales. WECF est présent à toutes les Conférences internationales pour le climat (COP) pour valoriser la place et le rôle des femmes dans le développement durable. L’antenne française a été créée en 2008 et travaille sur les questions de santé et environnement, comme l’impact genré des polluants chimiques sur la santé. 

Pourquoi la lutte contre le changement climatique est-elle un enjeu genré ?

On pourrait penser que le changement climatique comme les réponses à apporter sont pour tout le monde. Or, en réalité, comme toutes les politiques, elles ont un impact particulier en fonction de l’endroit où l’on se situe. Le changement climatique affecte aujourd’hui, davantage ce qu’on appelle “les pays du Sud” que les pays industrialisés, alors que ces derniers ont un poids beaucoup plus lourd, notamment sur l’empreinte carbone. Les populations les plus pauvres sont particulièrement impactées dans ces pays-là, principalement les femmes. En raison des rôles sociaux qui leur sont attribués, dévolus au ménage, au soin, à l’hygiène, elles sont confrontées au quotidien aux problèmes d’inondation, déforestation et sécheresse. Elles sont aussi très fortement impactées dans les activités agricoles. L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) indique qu’elles participent à plus de la moitié de la production alimentaire mondiale. Dès qu’il y a un problème, une catastrophe climatique qui dévaste les entreprises agricoles, elles se retrouvent sans moyens pour survivre, sans aucune possibilité de recourir à leur propre production pour s’alimenter et venir en aide à leur communauté. Dans la plupart des cas, n’étant pas propriétaires du foncier, elles n’ont pas de garantie et ne peuvent faire jouer aucune assurance. Elles sont donc dans une situation très précaire et d’extrême vulnérabilité. Il y a également un problème d’éducation, d’alphabétisation et de connaissance. Pour des raisons de compréhension de la langue nationale et d’assignation à domicile, elles sont moins informées que les hommes des risques à venir. En somme, il y a une vulnérabilité spécifique des femmes et sans prise en considération de leurs situations, nous ne sommes pas en mesure de répondre à leurs besoins.

Pourquoi les femmes sont-elles des actrices indispensables dans cette lutte contre le changement climatique ?

WECF est très attentive au fait que même si les femmes sont dans des situations très vulnérables, elles sont également au coeur de l’économie locale et du soin. Les femmes ne sont pas que des victimes, c’est important de le mentionner. Elles sont impliquées dans le soin, l’hygiène et le soutien économique des communautés. Elles travaillent dans l’économie informelle. Elles sont affectées par les problèmes de ressource mais elles mettent en place des réponses intelligentes et innovantes pour s’adapter et préserver les ressources dont elles ont tant besoin. Elles contribuent à l’adaptation des communautés et dans certains cas, à la diminution de l’empreinte carbone. 

En quoi la lutte contre le changement climatique représente-t-elle une opportunité pour l'autonomisation des femmes ?

L’autonomisation des femmes est l’objectif à atteindre. Le problème est que les initiatives des femmes sont très locales et très faiblement identifiées. Il y a une injustice flagrante dans leur absence des instances de prise de décision, dans le fait que les financements ne soient pas fléchés en leur faveur, et qu’elles n’aient pas accès aux technologies. L’objectif doit être de les rendre visibles, de montrer ce qu’elles savent faire et comment elles sont innovantes pour permettre de renforcer leurs capacités, d’aller vers l’autonomisation et leur permettre de participer à ces trois chantiers que j’ai nommé. La lutte contre le changement climatique recouvre tout un tas de problématiques : économiques, environnementales, sociales et de genre. C’est vraiment multifacteur et multi-réponses. Quand les organisations de femmes travaillent sur des projets locaux, très souvent, leurs réponses sont à la fois économiques, sociales et environnementales. Elles travaillent toujours en faveur de leur capacité d’autonomisation et pour être reconnues comme expertes. Je pense que leur capacité à apporter des réponses qui ne sont pas en silos est extrêmement importante et leur contribution à la lutte contre le changement climatique très riche. 

Crédit photo : Annabelle Avril

Crédit photo : Annabelle Avril

Pourriez-vous nous citer quelques exemples de projets que vous menez actuellement et qui lient ces deux enjeux ?

WECF a la spécificité de travailler en lien avec d’autres organisations. Le premier exemple est un projet mis en place actuellement au Maroc auprès des coopératives d’argan de femmes en créant une filière féminine d’énergies renouvelables. L’idée est d’approvisionner ces coopératives, notamment avec l’énergie solaire, pour faire des économies, réduire l’empreinte carbone et développer les entreprises en renforçant ces dernières dans des filières où elles sont peu présentes. On veut démontrer l’efficacité des projets féminins et féministes dans le domaine de l’énergie comme dans d’autres, au sein de la lutte contre le changement climatique. Ce projet doit permettre de développer une filière technique et les capacités des femmes pour renforcer leur plaidoyer en faveur du croisement genre et climat.

Depuis l’accord de Paris, nous proposons aussi chaque année un projet à chaque conférence sur le climat. Il s’appelle le prix “Solutions Genre et Climat”. Nous remettons un prix à trois lauréat.e.s après un appel à projet international. Les lauréat.e.s portent des projets locaux qui combinent le genre et la lutte contre le changement climatique. Nous disposons d’un grand panel de projets, par exemple, l’installation sous la roche d’un système de récupération d’eau en Inde. Ce système permet de récupérer l’eau de la mousson et cultiver la terre pendant cette période, puis pomper dans la réserve souterraine l’eau pendant la sécheresse. Ce projet permet de développer la rentabilité agricole et de mettre cette technologie au service de coopératives de femmes et ainsi de renforcer leur expertise. 

Un dernier projet est “Univers’Elles” que nous lançons actuellement en lien avec les productions de sel de Guérande. Il a comme objectif de permettre aux femmes de Guinée-Bissau de récolter le sel en changeant de pratique, auparavant très pénible et polluante. C’est un renforcement des techniques des femmes par l’apprentissage de l’assèchement par technique solaire. Il permet de lutter contre le changement climatique et d’améliorer la santé et les conditions de travail. 

Quels sont les défis à venir en matière d'égalité de genre et d'environnement à vos yeux ? En quoi la crise du Covid-19 a-t-elle mise en lumière ces enjeux ?

La question environnementale est vraiment à intégrer dans les luttes des organisations féministes. Il y a du travail. Pour le moment, ces dernières ne sont pas complètement ouvertes sur ces questions parce qu’il y a tellement de luttes à mener. Je vous assure que c’est aussi un travail à mener par les associations environnementales qui ont tendance à penser que l’environnement, c’est pour tout le monde. Pour moi, il y a un enjeu très important à croiser ces questions et montrer l’intérêt de sortir des silos pour aborder cela de manière globale. 

La crise du Covid-19 a permis de prendre conscience d’un certain nombre de choses. D’abord, du lien entre les activités humaines, la dégradation de l’environnement et les conséquences sur la santé humaine. Également, du rôle des femmes dans toute l’économie invisible, du soin, dans les hôpitaux, dans la santé, dans l’accompagnement des personnes âgées. On a bien vu la triple journée que vivent les femmes et le peu de reconnaissance qu’elles en ont. Et pourtant, pendant la crise, nous avons majoritairement vu des hommes s’exprimer dans les médias sur les constats et les solutions à mettre en place. On a vu la place des femmes partout, indispensables, mais en situation extrêmement précaire, très mal payées, voire pas du tout, et très peu mises en valeur. Il n’est pas certain que des leçons aient été tirées de tout ce que nous avons vu pendant la crise. 

Qu'est-ce que les organisations féministes attendent des décideur.se.s politiques au niveau national et international ?

L’attente des organisations féministes est très forte sur une prise de conscience des décideur.se.s nationaux.ales et internationaux.ales, sur l’importance de porter la question de l’égalité femmes-hommes dans les paroles mais aussi dans les actes et dans les financements. Nous étions très contentes que le Président Emmanuel Macron annonce au G7 la tenue du Forum Génération Égalité d’ONU Femmes (qui se tiendra à Paris en 2021 ndrl). Nous attendons beaucoup, pas seulement des financements parallèles comme le Fonds annoncé en faveur des associations féministes à l’international, mais aussi une véritable intégration de la question du genre de manière transversale dans l’ensemble des politiques publiques, les financements adéquats et une participation des organisations féministes à la prise de décision. 

Propos recueillis par Paola Ariza et Lorelei Colin