Afghanistan : le retour des talibans au pouvoir s'accompagne d'une recrudescence des violations des droits des femmes et des filles

 
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Le dimanche 15 août 2021, les talibans ont investi le palais présidentiel à Kaboul, achevant  ainsi leur conquête du territoire. La précédente expérience du mouvement militaire au gouvernement entre 1996 et 2001 présage une forte hausse des violations des droits humains. Le retour au pouvoir des talibans fragilise davantage la situation des filles et des femmes en Afghanistan, victimes d’importantes discriminations et exactions liées au genre. ONU Femmes est présente sur le terrain depuis plusieurs années pour agir contre les persécutions auxquelles elles sont sujettes.


La situation critique des femmes et des filles en Afghanistan

Parmi les 250 000 Afghan.e.s forcé.e.s à fuir depuis la fin du mois de mai 2021, 80 % sont des femmes et des enfants. Elles font partie des 400 000 personnes civiles contraintes de quitter leurs foyers depuis début 2021 auxquelles s’ajoutent les 2,9 millions de déplacé.e.s internes à travers le pays fin 2020 (1). Leurs départs reflètent la crainte généralisée du régime taliban qui a ciblé principalement dans ses attaques armées le personnel, les soutiens avérés ou non des forces gouvernementales, mais aussi les femmes accusées de conduite considérée “immorale”. Les organisations de défense des droits humains reportent en effet de très nombreuses violences infligées aux filles et femmes pour tout acte jugé comme une transgression de l’interprétation du droit musulman par le groupe militaire tel que le fait d'aller à l'école, de jouer d’un instrument de musique ou de sortir sans la présence d'un homme. 2020 a été l'année la plus meurtrière jamais enregistrée pour les Afghanes et l’année 2021 risque de battre ce triste record. Entre le 1er janvier et le 30 juin 2020, la Mission d'assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA) a recensé 400 femmes victimes enregistrées : 139 tuées et 261 blessées. Parmi elles, selon la Commission indépendante des droits de l'Homme en Afghanistan (CIDHA), plus de 100 femmes ont été ciblées et assassinées. Entre le 1er janvier et le 30 juin 2021, pendant les violences perpétrées pour la  conquête territoriale par les  talibans, la MANUA a recensé 727 femmes victimes, 219 tuées et 508 blessées, soit une augmentation de 82 % par rapport aux six premiers mois de 2020. Les femmes représentent ainsi 14 % des victimes civiles enregistrées entre le 1er janvier et le 30 juin dernier (2). 

Dans ce contexte extrêmement dangereux, les photos des bénéficiaires et du personnel des organisations présentes sur le terrain  ont été effacées de leurs sites internet pour des raisons de sécurité. La situation critique requiert à la fois de ne pas mettre en danger ces femmes ensuite ciblées mais également de ne pas évincer leur présence de la vie publique.


« Nous n’avons pas besoin d’attendre de voir des femmes battues en public ou une hausse de la violence domestique pour déclarer qu’il y a de la violence (...). Ne pas permettre aux femmes de quitter leurs domiciles est indéniablement une forme de violence. Ne pas permettre aux femmes de retourner à leur travail et les empêcher de participer à la vie publique est indéniablement une forme de violence. (3) » Mohammad Naciri, Directeur régional d’ONU Femmes pour les régions Arabie et Asie Pacifique


Les Afghanes subissent particulièrement la violence domestique, les mariages forcés et sont souvent privées d’éducation : 74 % des filles de 1 à 14 ans ont déjà subi une punition physique et/ou une agression psychologique (2011), 28 % des filles de 20 à 24 ans ont été mariées avant l’âge de 18 ans (2017), 20 % des filles de 20 à 24 ans ont donné naissance avant l’âge de 18 ans (2015), 44 % des filles de 15 à 24 ans sont analphabètes (2019) et 81 % des filles en âge de fréquenter l’école secondaire ne sont pas scolarisées (2015). (4) Les mauvais traitements (coups, féminicides, châtiments corporels, actes de torture, etc.) restent par ailleurs souvent impunis. Les explications sont multiples : la peur de représailles, les pressions familiales ou des agent.e.s d’État, la stigmatisation associée au dépôt de plainte, et surtout, la dépendance financière (5). C’est la raison pour laquelle ONU Femmes s’engage pour lutter contre les violences, mais également pour l’autonomisation économique des femmes en Afghanistan. Les programmes sur le terrain ont notamment pour vocation d’aider les Afghanes - militantes, journalistes, avocates, médecins, etc. - à continuer de jouer leur rôle central et historique face à ces normes discriminantes : elles ont obtenu le droit de vote en 1919, avant de nombreux autres pays, ouvert la première école de filles en 1921 et instauré l’égalité pour toutes et tous dans la Constitution en 1964.


Les programmes d’ONU Femmes en Afghanistan 

Les programmes d’ONU Femmes en Afghanistan visent à lutter contre les  violences à l’encontre des femmes et des filles en soutenant des services complets pour les survivantes. Onze centres de protection et cinq centres d’orientation familiale ont été financés dans neuf provinces afin d’offrir un abri sûr et des services vitaux, notamment médicaux, psychosociaux et juridiques. Des formations professionnelles sont également financées dans le but d’accroître l'accès des femmes aux opportunités économiques. Dans ces centres, des programmes de stages de six mois soutiennent les femmes diplômées cherchant à entrer sur le marché du travail ainsi que les femmes d'affaires souhaitant obtenir à l’étranger des contrats d'exportation internationaux, par exemple. 


« J'ai subi des violences de la part de mon mari et de sa famille. (...) Ma guérison a commencé il y a cinq ans, lorsque je suis arrivée au Centre de protection des femmes (Women's Protection Centers - WPC). J'avais des bleus et des brûlures sur tout le corps à l'époque. (...) Au WPC, j'ai appris le tissage, la couture et la broderie. J'ai aussi réalisé mon autre rêve : j'ai repris mes études que j'avais interrompues lors de mon mariage. J’ai également gagné en pouvoir et je suis prête à aider la société. Après être devenue formatrice professionnelle, j'aide d'autres survivantes de violences conjugales à reconstruire leur vie. Je partage avec elles mon parcours de résilience et d'espoir et les encourage à être fortes. (6) » Razia Shafaq*, Formatrice dans les programmes d’ONU Femmes en Afghanistan *

Pour des raisons de sécurité, son identité a été modifiée.


En revanche, la participation des femmes au leadership et à la gouvernance reste encore très limitée. Elles ont très peu de possibilités pour s’impliquer aux prises de décisions en raison des manœuvres d’intimidation, du harcèlement et de la discrimination qui sont monnaie courante au sein des administrations publiques afghanes (7). Dans cette perspective, les formations au sein des centres portent aussi sur le leadership transformationnel et la gestion pour les femmes dans la fonction publique du pays. De plus, ONU Femmes travaille sur le terrain pour accroître la participation significative des femmes à la paix et à la sécurité qui est aussi très faible. Pour preuve, la délégation soutenue par le gouvernement aux négociations intra-afghanes, précédant les accords de Doha du 29 février 2020, comprenait uniquement quatre femmes parmi ses 21 membres. L'équipe des talibans n’en comprenait aucune (8).

Particulièrement vulnérables dans ce contexte d’hostilités, les femmes et les filles font face à des risques imminents. ONU Femmes est active en Afghanistan depuis plus de 10 ans pour améliorer leurs conditions de vie mais les droits qu’elles ont durement acquis sont aujourd’hui plus que jamais menacés. En ce moment critique pour le pays, nous restons opérationnelles et engagées avec nos partenaires pour agir sur le terrain auprès des Afghanes. ONU Femmes soutient les femmes et les filles afghanes avec des mesures vitales afin de sauvegarder leur sécurité et leur pleine et libre participation à la vie sociale, économique et politique du pays. Aidez-nous à financer ces programmes en faisant un don.



Doris Marchand


(1) L’Agence des Nations Unies pour les réfugiés. (2021, août 13). HCR : Les femmes et les enfants déplacés subissent les conséquences les plus néfastes du conflit en Afghanistan. https://www.unhcr.org/fr-fr/news/briefing/2021/8/61164306a/hcr-femmes-enfants-deplaces-subissent-consequences-nefastes-conflit-afghanistan.html 

(2) Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan. (2021, juillet). Afghanistan 2021 Midyear Update on Protection of Civilians in Armed Conflict. p.4. https://unama.unmissions.org/sites/default/files/unama_poc_midyear_report_2021_26_july.pdf 

(3) Parkin, B. (2021, août 23). Afghan women face ‘gender emergency’, UN warns. Financial Times.  https://www.ft.com/content/f78a1e73-08bb-41b4-ae00-2226f08d9807 

(4) UNICEF Data Warehouse, Afghanistan. https://data.unicef.org/country/afg/ 

(5) Human Rights Watch. (2021, août). “I Thought Our Life Might Get Better” Implementing Afghanistan’s Elimination of Violence against Women Law. p.2. https://www.hrw.org/sites/default/files/media_2021/07/afghanistan0821_web.pdf 

(6) Nangyalai Tanai. (2018, 6 mai). From Where I stand. . . “I grow stronger every day”. UN Women | Asia and the Pacific. https://asiapacific.unwomen.org/en/news-and-events/stories/2018/05/i-grow-stronger-every-day 

(7) Amnesty International. (2021). Amnesty International Report 2020/21 The state of the world’s human rights. p.60. https://www.amnesty.org/fr/documents/pol10/3202/2021/fr/ 


(8)Human Rights Watch. (2021, août). “I Thought Our Life Might Get Better” Implementing Afghanistan’s Elimination of Violence against Women Law. p.21. https://www.hrw.org/sites/default/files/media_2021/07/afghanistan0821_web.pdf