Une génération engagée, l'interview de nos redac’cheffes
Ce mois-ci, elles sont trois rédactrices en cheffes pour notre newsletter ONU Femmes France ! Trois jeunes femmes qui incarnent, chacune à sa manière, la Génération Égalité. Trois parcours singuliers qui nous montrent la voie pour briser les tabous et les normes.
1. Shanley Clemot McLaren, Alice Ackermann et Romane Dicko, vous êtes les rédac’ cheffes de notre newsletter de mai consacrée à l’engagement de la jeunesse et à Génération Égalité, la campagne d’ONU Femmes qui rassemble toutes les générations d’activistes pour agir de manière concrète et parvenir à un futur égalitaire. Qu’est-ce que ce qui résonne en vous dans cet appel ?
Shanley Clemot McLaren : Cette convergence de luttes et de générations me semble primordiale si nous voulons réussir les combats que nous menons, car pour déconstruire le système patriarcal d’oppression dans lequel nous vivons, l’enrichissement mutuel, la mise en commun de stratégies sont indispensables. « Génération Égalité » signifie que nous partageons tous et toutes un même but : faire advenir la justice sociale.
Romane Dicko : Je le vois comme une chance, une chance de partager et de croiser nos valeurs. En mettant en lumière des problèmes et des injustices mais aussi des initiatives, des personnes engagées, on participe à la résolution des problèmes car montrer, parler et sensibiliser sont les premiers pas vers le changement. « Génération Égalité » crée un mouvement et cela me paraît indispensable d’en faire partie et de le faire connaître.
Alice Ackermann : Le Forum Génération Égalité est une opportunité pour faire avancer les droits des femmes et les droits sexuels de manière significative. Cette lutte est un travail collectif et multi-acteurs.rices : nous avons besoin de la société civile, mais aussi des personnes concernées : femmes, jeunes, personnes LGBTQI+, personnes marginalisées et minorisées, et des États - à qui je dirai : « Donnez-nous les moyens de nos ambitions pour faire avancer les droits, légalement et dans leur accès, et ainsi mettre fin au système patriarcal. »
2. Alice, vous êtes membre du bureau confédéral du Planning Familial, Shanley, vous êtes co-présidente du collectif « Stopfisha ». Pour toutes les deux, votre engagement remonte à l’adolescence… Qu’est-ce qui vous motive ?
Alice : La colère ! Je suis en colère qu’en 2021, nous continuons à vivre dans une société patriarcale, que toutes les huit minutes, une femme est victime de viol dans le monde, que des filles n’aient toujours pas accès à l’éducation, que les femmes n’aient toujours par le droit de disposer librement de leur corps. Ce monde sexiste, violent, oppressif, je n’en veux pas. C’est pour ça que je milite depuis mes 15 ans. Dès le début, j’ai décidé de travailler principalement sur les droits sexuels et reproductifs car l’émancipation des personnes commence en la liberté de pouvoir disposer de son corps. Ce qui me motive au quotidien, c’est l’union de tou.te.s les militant.e.s : ensemble, nous challengeons les normes sociales, nous luttons contre les violences, nous construisons une nouvelle société.
Shanley : Pour paraphraser Simone de Beauvoir : « je ne suis pas née féministe, je le suis devenue. » J’étais au lycée et il m’est devenu impensable de ne rien faire alors que nous vivons dans un monde de socialisation genrée, créatrice d’inégalités, dans un continuum d’injustices et de violences. Cela me semblait impossible de faire ce constat et de ne pas agir. J’ai donc organisé le blocus de mon lycée à 18 ans. Pour moi le message était clair : il fallait mettre fin aux injustices sexistes dans l’Éducation Nationale. Il y a des choses taboues dans le sexisme, surtout quand on parle d’un établissement scolaire, et comme à chaque fois qu’on brise un tabou, cela secoue en profondeur, mais cela a été utile. Ça a été une porte d’entrée dans mon engagement féministe qui perdure aujourd’hui, car il y a une extension du patriarcat sur d’autres terrains : les réseaux sociaux et le web. C’est ce que je dénonce avec « StopFisha ».
2.1. Romane, en novembre dernier, vous avez été sacrée championne d'Europe en +78 kg pour la deuxième fois, à 21 ans. Vous avez une ascension fulgurante dans un monde – le sport - qui véhicule beaucoup de stéréotypes. Cela a-t-il été compliqué pour vous ?
Romane : J’ai commencé le judo à 13 ans et c’est vrai que pour mes amies, c’était un sport de « garçon ». Après, comme j’ai performé assez vite, il n’y avait plus de place pour ce genre de commentaires. Le succès ne permet plus aux autres de questionner de cette manière. Mais je dois quand même dire que nous n’étions que deux filles dans mon cours…
Vous mentionnez souvent Audrey Tcheuméo comme celle qui vous a donné envie de commencer le judo et aujourd’hui vous côtoyez des championnes telles que Clarisse Agbegnenou, Marie-Eve Gahié ou Madeleine Malonga. Que sont-elles pour vous, des rôles modèles ?
Romane : C’est un bénéfice indéniable ! Quand j’ai besoin d’un conseil, je me tourne naturellement vers « les grandes », mais je ne parlerai pas de « rôles modèles ». Cependant, je pense que quand on est jeune, oui, on a besoin de se projeter et voir des personnes qui nous ressemblent, ça nous permet d’oser.
3. Romane, vous évoluez dans un milieu où, dernièrement, le sexisme et les violences sexuelles sont apparu.e.s au grand jour. Shanley, vous avez créé « Stopfisha » en avril 2020 pour lutter contre le cybersexisme et les cyberviolences sexistes et sexuelles. Alice, vous travaillez au Planning Familial et militez pour les droits sexuels et reproductifs en France et à l’international… À toutes, chacune dans votre domaine, j’aimerais poser une question : quelles solutions voyez-vous ?
Shanley : Dénoncer et faire reconnaître ces violences comme ancrées dans un système nommé le patriarcat. La justice a également le devoir de reconnaître ces violences et les victimes, puisque sans justice, il ne peut y avoir de paix. Pour que les choses changent réellement, il faut éduquer. Premièrement, déconstruire les stéréotypes dès la petite enfance : comme C.Gilligan et N.Snider dans « Why Patriarchy persist » l’expliquent, les petites filles dans leur sociabilisation perdent leur parole. Cette perte de voix, on doit la reconstruire. Puis enseigner la notion de consentement : faire comprendre que dire « NON », c’est une arme. Enfin, mettre en place une réelle éducation sexuelle inclusive. Il nous faut un changement profond de nos sociétés qui soit collectif, inclusif et radical.
Alice : Premièrement, au quotidien, les associations font un travail indispensable pour accompagner les personnes accueillies dans l’accès à leurs droits et donc à l’émancipation. Un travail qui fait avancer notre société vers plus d’égalité et de justice. Toutefois, pour que ces associations existent, il est nécessaire de les financer – le financement des associations est donc le premier levier d’action. À l’échelle internationale, nous avons face à nous un mouvement structuré (et dont le financement dépasse de loin le nôtre) qui mène un plaidoyer contre les droits des femmes, des personnes LGBTQI+, et qui est plus largement antidémocratique. Le deuxième, c’est de mettre fin à l’absurde séparation des droits à la contraception, à l’avortement et à l’éducation à la sexualité. C’est l’association, et donc la légalisation et l’accès à ces trois droits en un socle fondamental, qui permet une égalité de droit entre les personnes. Enfin, c’est de s’assurer que les engagements pris en cette matière soient tenus. Pour moi, le Forum Génération Égalité sera un succès si les engagements pris sont financés et évalués.
Romane : Concernant le sexisme dans le sport, je vois deux choses sur lesquelles avancer. D’une part, mettre fin à la sous-médiatisation des équipes féminines. Même si les choses changent un peu dernièrement, pendant des années une équipe féminine n’était pas aussi valorisée qu’une équipe masculine. D’autre part, il faudrait en finir avec l’approche genrée du sport. Concernant les violences sexuelles, je pense qu’il faut axer les solutions sur la sensibilisation et l’éducation : à destination des jeunes sportifs concernant leurs droits et le pouvoir de leur parole, mais aussi à destination des coachs..
4. Quel message souhaitez-vous adresser à votre génération et à la prochaine ?
Romane : « Osez » être qui vous êtes, ce que vous voulez être ! Il ne faut pas regarder les étapes ou les obstacles, il faut savoir qu’on peut trouver en soi l’énergie pour faire changer les choses.
Shanley : Le féminisme, c’est dire « tu n’es pas seule ». Chaque femme doit être sa propre révolte, et si chaque femme est sa propre révolte alors ensemble, on peut être une révolution.
Alice : Face aux injustices, aux discriminations, aux violences, levons-nous, luttons et prônons notre idéal de société ! L’Histoire est faite de personnes qui ont refusé le statu quo. Alors faisons changer le cours de l’Histoire en écrivant la nôtre.
Propos recueillis par Rachel Nullans