Le leadership est-il une affaire de sexe ?

 
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Maîtresse de conférences à l’Université Panthéon-Sorbonne et agrégée d’Economie gestion, Sarah Saint-Michel est la première Française à avoir réalisé sa thèse de doctorat sur le thème des femmes et du leadership. Co-auteure du livre « Hommes-Femmes : Leadership mode d’emploi » publié aux éditions Pearson en 2016, ses travaux de recherche sont consacrés à la thématique du leadership et des pratiques organisationnelles favorisant l’inclusion des diversités dans les organisations. Conférencière, elle a réalisé un TEDx en 2019, intitulé « Le leadership n’a pas de sexe ». Elle décrypte les stéréotypes et les idées reçues associés au leadership pour permettre, à toutes et tous, d’exercer de l’influence.


1) Le terme “leadership”, emprunté à l’anglais, s’entend un peu partout. Mais pouvez-vous nous dire concrètement qu’est-ce que le leadership ?

Le leadership est un terme anglo-saxon qui vient du verbe anglais « to lead » qui signifie mener. Le leadership est la capacité d’un individu à fédérer, influencer et conduire un groupe, dans le but d’atteindre des objectifs communs et partagés, entre la.le leader et son collectif. La.le leader a du pouvoir sur autrui, grâce à ses comportements, ses idées, ses valeurs exemplaires, qui poussent librement, les individus à la.le suivre. De son côté, la ou le manager puise son pouvoir de sa position ou sa fonction dans la hiérarchie. Ainsi, la source du pouvoir exercé par un.e manager ou un.e leader est différente, ce qui in fine génère une performance différente.

Concrètement avoir du leadership c’est être capable de communiquer une vision positive et inspirante du futur ; et  de susciter motivation et engagement auprès de ses collaborateur.rices.s. Chaque individu a une capacité à influencer un collectif. Les études soulignent qu’il y a une part d’innée dans l’acquisition du leadership, entre 20 et 30 %. Cependant, près de 70 % du leadership s’acquiert au fil du temps, des expériences et de l’apprentissage par l’action. Donc si on envie d’être un.e leader, c’est possible !

Pour cela, il faut  prendre du temps pour se connaître, comprendre ses ressorts pour être influent.e. Le leadership est un apprentissage au quotidien, un processus d’amélioration constant avec une remise en question et une prise de recul sur ses actes. Comme un.e sportif.ve de haut niveau qui s'entraîne, exercer du leadership demande entraînement, accompagnement et mise en pratique. 


2) L’idée que les femmes et les hommes seraient des leaders avec des qualités différentes est très répandue. Alors mythe ou réalité ?

Effectivement de nombreuses idées reçues sont apposées à la notion de leadership. Il existerait un leadership masculin considéré comme autoritaire, dominant et directif ; et un leadership féminin défini comme collaboratif, bienveillant et axé sur la communication. Or, les études indiquent qu’il n’existe pas de différences majeures entre les femmes et les hommes en matière de leadership

Ce n’est pas parce que je suis un homme leader que je serai naturellement autoritaire et charismatique. Et inversement, ce n’est pas parce que je suis une femme que je serai naturellement douce et bienveillante. Penser ainsi entraîne de multiples risques. D’une part, une essentialisation des compétences, en distinguant des compétences féminines et masculines. D’autre part, un renforcement du plafond et de la paroi de verre, en pensant qu’il existe des positions de leadership davantage dans la communication pour les femmes ; et plutôt dans la domination et l’autorité pour les hommes. ll y a des comportements de leadership efficaces, peu importe le sexe de la.du leader.

En revanche, il ne faut pas nier que les femmes leaders sont confrontées à plus d’attentes stéréotypées comparativement aux hommes. Les anglo-saxon.e.s utilisent la métaphore « Think leader – Think male ». Tel un labyrinthe, l’accès aux postes décisionnaires sera sinueux, long et complexe pour les femmes. 


3) Pour une société plus équilibrée, il faut donc combattre les stéréotypes de genre. Malheureusement, les représentations genrées persistent et commencent dès le plus jeune âge. Comment faire pour développer et encourager les vocations qui se démarquent des stéréotypes ?

C’est vrai, les stéréotypes de genre sont acquis dès la petite enfance (1) et constituent le terreau des inégalités. Pour comprendre leur rôle et leur influence dans notre société, il est nécessaire de décrypter leurs caractéristiques.

Tout d’abord, les stéréotypes de genre sont socialement partagés, c’est-à-dire que notre société, dans sa globalité, nous renvoie des attentes stéréotypées apposées aux femmes/filles et aux hommes/garçons qui agissent comme des injonctions. Ne pas s’y conformer signifie souvent l’exclusion ou le rejet du groupe social. Dès lors, leur déconstruction est la clé pour parvenir à une représentation équilibrée des femmes et des hommes dans nos sociétés. 

Ensuite, les stéréotypes sont acquis dès le plus jeune âge.  Entre six et huit ans, les enfants ont formé la majorité de leurs représentations genrées. Le cercle familial, l’environnement social, l’école, les médias, les acteur.rice.s sociaux et culturels tiennent une place prépondérante dans la diffusion des stéréotypes. 

Enfin, les stéréotypes n’évoluent que très faiblement dans le temps. Transmis de générations en générations, ils sont intériorisés profondément pour la plupart d’entre nous. La prise de conscience des stéréotypes est indispensable pour penser de façon plus neutre. Pour réduire les stéréotypes, nous sommes tou.te.s acteur.rice.s du changement. Nous devons prendre conscience de nos représentations genrées, proposer aux enfants d’ouvrir le champ des possibles, et agir comme des rôles-modèles.  


4) Avec l’affaire de l’amende pour avoir nommé « trop de femmes » à des postes de direction à la Mairie de Paris, et les discussions autour d’une proposition de loi pour instaurer des quotas supplémentaires afin de favoriser le nombre de celles-ci au sein de la direction des entreprises, les quotas sont au centre du débat. Pensez-vous que les quotas puissent être la solution pour briser le plafond de verre ?

Le Forum Économique Mondial nous indique que nous parviendrons à l’égalité femmes/hommes dans 100 ans. C’est beaucoup trop long ! Il faut donc proposer des idées innovantes pour faire évoluer l’égalité professionnelle en profondeur. Ces solutions peuvent être axées sur les femmes, via des programmes de développement personnel. Il existe aussi des solutions organisationnelles, comme les politiques inclusives portées par les directions générales des entreprises. Des politiques favorisant la conciliation des temps privés/professionnels, la promotion de rôles modèles féminins, l’existence de référentiel de leadership inclusif, la mise en place de réseaux de femmes et l’instauration de quotas sont nécessaires.  

Les quotas constituent une mesure temporaire destinée à mettre fin à une situation d’inégalité construite au fil du temps. Ils augmentent à la fois, le vivier de femmes qualifiées pour les postes les plus élevés, et permettent de réduire les discriminations envers elles, en mettant en lumière leurs compétences aux fonctions de leadership (2). 

Les quotas viennent bouleverser le mythe universaliste de la méritocratie. Mais de nombreuses études soulignent leur effet bénéfique sur la présence des femmes à des fonctions de leadership. Sans mesures contraignantes, elles n’auraient pas pu atteindre de telles positions (cf. la loi Copé-Zimmerman). Les quotas sont, bel et bien, un instrument pour induire le changement. Permettre à notre œil de s’habituer à voir émerger des leaders différent.e.s, de nouveaux rôles-modèles et une opportunité de recruter nos futur.e.s dirigeant.e.s en fonction de leurs compétences et non de leur appartenance, réelle ou supposée, à une représentation de la.du leader stéréotypée. 


5) L’évolution des mentalités et des comportements dans le domaine politique, incarnation du pouvoir par excellence, est très lente. Récemment, des femmes ont atteint des postes de très haut niveau, comme Kamala Harris nommée Vice-présidente des États-Unis, ou encore Kaja Kallas, la nouvelle Première ministre d’Estonie. Néanmoins, que ce soit à la tête du gouvernement ou au sein des parlements, elles restent très minoritaires et nous demeurons loin de la parité. En France, seule Edith Cresson a été furtivement Première ministre entre 1991 et 1992, et les femmes politiques ne sont pas à l’abri d’injures sexistes.  Selon vous, comment faire pour permettre qu’elles puissent accéder aux responsabilités politiques les plus importantes ?

Comme nous l’avons vu précédemment, accéder aux postes de leadership constitue un long cheminement semé d’embuche. La politique est un monde masculin où les femmes n’ont que peu de place. Les débats dans l’hémicycle témoignent des violences sexistes régulièrement.  Accéder aux positions de leadership constitue une problématique complexe pour celles-ci, à l’intersection des multiples enjeux. En premier lieu, des enjeux individuels : libérer la confiance en soi, oser se voir en tant que leader, dépasser le syndrome de l’imposteur. En second lieu, des enjeux organisationnels : nos organisations doivent mettre en place des politiques favorisant l’inclusion de tou.te.s. Des pratiques telles que ne pas mettre de réunion après 18h, la flexibilité du temps de travail, le suivi après le retour d’un congé maternité, des référentiels de leadership inclusifs, la mise en place de réseaux féminins, des programmes de mentoring, etc. contribuent à faire émerger des talents féminins. Enfin, des enjeux sociétaux : l’éducation de nos enfants, le rôle des médias, constituent des moteurs pour véhiculer des modèles de leadership féminins. Les mesures politiques incitatives, malgré les débats houleux suscités, telles que la mise en place de quotas contribuent à accélérer rapidement la féminisation de nos instances dirigeantes.

La progression vers l’égalité est bien trop lente (cf. Étude du Forum Économique Mondial (3)), il est temps de bousculer les choses via des mesures impactantes.


Propos recueillis par Sonia Lépine-Persaud  




(1) Poulin-Dubois D & Serbin L « La connaissance des catégories de genre et des stéréotypes sexués chez le jeune enfant », Enfance, 2006/3 (Vol. 58), p. 283-292. DOI : 10.3917/enf.583.0283. URL : https://www.cairn.info/revue-enfance1-2006-3-page-283.htm

(2) Sojo, V.E., Wood, R.E., Wood, S.A., & Wheeler, M.A. Reporting requirements, target, and quotas for women in leadership. The Leadership Quarterly. 2016, p.519-536. DOI https://doi.org/10.1016/j.leaqua.2015.12.003

(3) Forum Économique Mondial. Global Gender Gap Report. 2020. Retrived from : http://www3.weforum.org/docs/WEF_GGGR_2020.pdf