“Si la situation perdure, il n’y aura plus d’espoir pour les femmes en Afghanistan.”

“La peur de vivre sans futur”, assujettie à un régime où tous ces droits seront bafoués, telle est la raison qui a poussé Yazdan Hadia Anwari à quitter son pays. Auparavant étudiante en commerce et en littérature française (Université américaine d’Afghanistan et Université de Kaboul) cette socio-activiste de 21 ans poursuit actuellement ses études en France après avoir été évacuée par l’ambassade française le 26 août dernier. À l’occasion des 16 jours d’action contre les violences faites aux femmes, Yazdan Hadia Anwari revient sur la situation actuelle des femmes en Afghanistan. Par Sabrina Alves

Quels sont les témoignages et les retours que vous avez des femmes et des filles qui sont restées en Afghanistan ? À quels types de violence sont-elles soumises ?

Yazdan Hadia Anwari : Quand les talibans ont pris Kaboul, nous étions tellement choqué.e.s. Nous n’y croyons pas. Nous nous demandions vraiment comment cela avait pu se produire, avec le gouvernement et les équipements que nous avions… Ça a été horrible pour tout le monde. Nous étions partagé.e.s entre la peur, le désespoir et l’impuissance. Pour les femmes et les filles, c’est un véritable cauchemar. Elles n’ont plus aucune liberté. Tout d’abord, elles n’ont plus du tout accès à l’éducation ou au travail. Celles qui exerçaient un métier ou étudiaient ont dû tout abandonner. À ce jour, l’école s’arrête à la primaire pour les petites filles.

J’ai gardé contact avec certain.e.s ami.e.s et d’après eux, les femmes n’ont plus le droit de sortir de la maison, elles sont mariées de force. Si elles doivent sortir, il faut qu’elles passent par leur “mahram” (terme qui désigne un proche de la famille de genre masculin avec lequel la femme ne peut être mariée, mais sous l’autorité duquel elle est placée, NDLR). Si vous êtes une femme de 70 ans, votre petit-fils adolescent peut être votre “mahram”. C’est fou… Même âgées, les femmes ne peuvent plus décider pour elles. Lorsque les talibans n’aiment pas la tenue vestimentaire d’une personne dans la rue, ils fouillent son téléphone, ses réseaux sociaux, ses photos personnelles… Si cette personne est une femme, ils la battent et réclament son “mahram”.

Les femmes qui ont eu accès à une éducation supérieure ou un accès au monde du travail sont-elles plus en danger que les autres ?

Y.H.A : Oui, car elles connaissent leurs droits et leurs rôles dans la société. Ce sont des femmes libres et elles ne peuvent accepter l’idéologie des talibans. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai fui. Je n’aurais pu vivre sous leur régime : sans sécurité, sans futur, sans projets, enfermée à la maison… Ces femmes sont en danger car, toutes celles et ceux qui s’opposent aux talibans et à leurs idées sont assassiné.e.s. Les médias internationaux n’ont pas pu le confirmer car les talibans contrôlent l’information locale, mais j’ai vu sur les réseaux sociaux que les talibans avaient coupé la tête d’une athlète Afghane, car son comportement serait allé à l’encontre de “leurs traditions”.

Comment était la vie des femmes, avant la venue des talibans ?

Y.H.A : Avant la prise de Kaboul, la vie des Afghanes était remplie d’espoir. Il y a eu énormément de progrès. Il y a cinq ans, par exemple, il était extrêmement mal vu pour une femme d’aller au café ou au restaurant seule ou avec ses amies, sans sa famille. Elle pouvait être perçue comme une personne en situation de prostitution. Ces dernières années, cela a radicalement changé. Les femmes sortaient beaucoup plus : elles allaient au café, au restaurant, au bureau et à l’université. Elles commençaient à trouver leur place dans la société. Aujourd’hui, nous avons régressé. Le progrès n’est plus. 

Comment vivez-vous la situation actuelle en Afghanistan à partir de la France ?

Y.H.A : Maintenant que je suis en France et que je peux comparer les deux sociétés, je constate qu’en France, je suis dans une position où j’ai ma liberté, je peux exprimer mes sentiments, je peux sortir seule, j’ai le droit d’étudier et de travailler. Mais quand j’observe mon pays, c’est comme si c’était une vieille maison abandonnée au fin fond d’une forêt. Personne ne sait réellement ce qu’il s’y passe, si les personnes qui habitent la maison vont bien. 

J’ai de terribles ressentis sur ce qui se passe en Afghanistan. Si la situation perdure, il n’y aura plus d’espoir pour les femmes en Afghanistan. Les talibans n’acceptent pas le progrès. Ils n’acceptent que les personnes qui ont le même état d’esprit, le même langage et qui appartiennent au même groupe ethnique qu’eux. Si vous n’entrez pas dans leurs cases : on vous tue, on vous emprisonne ou on vous bat à mort.

Pourquoi est-il important de soutenir les femmes Afghanes aujourd’hui ? 

Y.H.A : C’est très important de les aider parce que si on regarde l’Histoire, les femmes ont été depuis toujours les plus fragilisées dans la société. Elles n’ont pas accès à tous leurs droits alors que c’est leur droit d’être protégées et c’est encore plus vrai  aujourd’hui. Vous savez, sous le régime des talibans, les femmes sont traitées comme des esclaves. Elles n’ont pas le droit de décider pour elles-mêmes, elles sont mariées de force, elles sont prisonnières de leur maison et doivent cacher leur visage et leur identité. Aucun être humain ne peut accepter ça. 

Quel message voudriez-vous adresser pour inciter les personnes qui nous lisent à aider les femmes afghanes ?

Y.H.A : Mon message pour celles et ceux qui hésitent est le suivant : imaginez que vous êtes une femme afghane. Vous avez des espoirs et des rêves pour votre futur. Vous voulez travailler, vivre, mais soudainement un démon vous enferme dans les ténèbres, comment vous sentiriez-vous ? Ce sentiment d’être enfermée dans les ténèbres toute sa vie est terrible... Si vous ne pouvez pas accepter ce sentiment pour vous-même, vous ne pouvez pas l’accepter pour les autres. Donc si vous ne pouvez pas l’accepter, aidez les femmes Afghanes. Les talibans sont des démons qui bafouent le droit des femmes et enferment les femmes dans les ténèbres.