Les femmes, actrices essentielles dans la lutte contre le changement climatique, entre autonomisation et accès à la gouvernance

Crédit photo : ONU Femmes

Crédit photo : ONU Femmes

Si le changement climatique impacte directement et spécifiquement les femmes, quelle est leur rôle dans la lutte pour y faire face ? Les femmes sont leadeuses de mouvements écoféministes, porteuses de projets éco-durables et innovants, notamment dans l’agriculture. Un risque perdure cependant : que l’écologie et le soin de la planète ne se fassent pas au prix de l’égalité femmes-hommes.

Crédit photo : ONU Femmes/Joe Saad

Crédit photo : ONU Femmes/Joe Saad

Des actrices essentielles 

Les femmes sont en première ligne pour l’adoption de techniques innovantes en agriculture, pour répondre aux situations de crise, pour prendre des décisions et gérer leur foyer (1).  Selon une étude de la Banque Mondiale, elles s’attachent plus fréquemment que les hommes à oeuvrer pour des améliorations concrètes pour leurs communautés (2). 

Elles sont capables de s’adapter de manière intelligente en faisant appel à leurs savoir-faire traditionnels dans de divers domaines tels que l’agriculture (en élaborant par exemple des cultures durables, comme des plantations de légumes flottants (3)), la gestion des ressources naturelles comme de l’eau, la conservation énergétique et alimentaire quotidiennes. 

L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) met ainsi en avant le rôle crucial des femmes dans l’agriculture et la gestion des terres et argumente en faveur de l’autonomisation des femmes rurales pour construire des foyers plus résilients (4).

La répartition sexuée du travail est aussi à souligner. En effet, les femmes auront des connaissances et expériences différentes des hommes travaillant dans l’agriculture. Elles peuvent, par exemple, être responsables de la conservation des graines et de techniques particulières (5). Elles sont détentrices de connaissances environnementales locales et sont ainsi directement concernées par les stratégies d’adaptation (6).
Leurs rôles clés, leurs nombreuses compétences et expertises en font des actrices au coeur de la prévention, de l’adaptation et de la mise en place des solutions (7). C’est ce que met en avant Farmala Jacobs, Directrice exécutive de la Direction des questions de genre d'Antigue-et-Barbude, soutenue par ONU Femmes, dans la réponse et le redressement qui ont été fait après le passage de l’ouragan Irma en 2017 : la représentation effective dans le conseil de réponse a permis d’apporter leurs perspective et connaissance des besoins du terrain (comme la localisation des populations) et de développer une approche sensible au genre (8).

Crédit photo : Direction des questions de genre, Antigue et Barbude / Nneka Nicholas

Crédit photo : Direction des questions de genre, Antigue et Barbude / Nneka Nicholas

Une sous valorisation et une faible participation des femmes à la gouvernance climatique

Elles sont cependant encore trop peu consultées ou présentes lors de la construction de stratégies d'adaptation, de négociations, ou de prises de décisions en lien avec les politiques publiques climatiques (9).  Il n’y avait ainsi que huit femmes parmi les 150 chef.fe.s d’État ayant participé à la Conférence des parties 21 (COP21) (10) et les conseils d’administration du “Fonds Vert pour le Climat” et du “Fonds pour l’environnement mondial” étaient composés de moins de 15 % de femmes en 2016 (11). Elles sont davantage présentes à l’échelle locale et communautaire mais encore trop invisibles et peu valorisées (12). 

Elles doivent être présentes à tous les niveaux, du local au global, et à toutes les étapes, de la définition du problème à la mise en place des stratégies de réponse (13). La prise en compte du genre lors des négociations climatiques telles les COP a été graduelle et récente. Cette intégration n’est pas encore systématique et se limite fréquemment à considérer les femmes comme des groupes vulnérables et non comme des actrices indispensables (14). 

Du fait de cette insuffisante participation, les besoins des femmes (comme en matière d’énergie et d’accès aux ressources naturelles) sont trop rarement pris en compte. Une meilleure réflexion et réaction à leurs vulnérabilités et contraintes apparaîssent cependant essentielles à leur réussite et à leur durabilité (15). Les femmes souffrent également d’un moindre accès aux financements en matière de lutte contre le dérèglement climatique : 70 % des crédits pour l’adaptation au changement climatique en Afrique sont consacrés aux projets technologiques et de grande ampleur largement dirigés par des hommes. Les crédits restants, destinés aux projets locaux et ruraux n’atteignent que minoritairement des femmes, ne permettant pas de soutenir leurs efforts pour améliorer leurs conditions de vie (16).

Une meilleure intégration des femmes aux groupes décisionnaires permettrait également des décisions plus vertes et une meilleure préservation de l’environnement. C’est la conclusion d’une étude de l’université de Boulder (17). C’est aussi ce que constatent Mc Kinney et Fulkerson en 2015. Selon eux, les pays ayant une forte présence féminine dans leurs instances de gouvernance auraient une empreinte climatique plus faible que les autres (18).

Crédit photo : ONU Environnement / Prashanthi S

Crédit photo : ONU Environnement / Prashanthi S

Une opportunité d’autonomisation des femmes

La recherche de solutions intelligentes et de l’adaptation de nos modes de production, de consommation et de vie pour relever le défi environnemental sont aussi l’occasion pour les femmes de s’autonomiser économiquement et de s’émanciper en étant mieux informées et plus résilientes (19). 

Le concept d’empowerement (ou empouvoirement/ autonomisation) est utilisé dans les programmes de développement comme l’outil permettant aux personnes en situation de pauvreté d’en sortir durablement en réduisant leur vulnérabilité sociale, économique, politique et psychologique. L’empowerement des femmes comme processus doit donc permettre leur conscientisation des inégalités structurelles femmes-hommes, le développement de leur estime de soi et la confiance pour pouvoir prendre des décisions, l’accès à une indépendance économique en assurant des activités génératrices de revenus et l’accès et le contrôle des ressources, l’amélioration de la capacité à mobiliser sa communauté et à y introduire des changements (20). 

L’égalité de genre, un levier pour un développement durable plus efficace 

Mettre en avant les compétences des femmes oeuvrant pour l’environnement et développer leur résilience a un effet direct important sur leur autonomisation personnel mais aussi sur celui de leur communauté. C’est la dynamique à l’oeuvre au sein du Réseau des femmes africaines environnementalistes soutenu par le Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE). Mettre en réseau ces femmes et augmenter leur leadership participent à leur autonomisation tout comme à une meilleure préservation de l’environnement au vu de leur activité (21).

Les avancées en matière d’égalité de genre permettent d’agir plus efficacement pour le climat et un développement durable. Un rapport de la FAO soutient ainsi qu’un accès égal pour femmes et hommes à la terre et aux ressources économiques et productives contribuerait à la sécurité alimentaire en permettant de nourrir 150 millions de personnes supplémentaires (22). L’accès des femmes aux innovations technologiques durables permettent d’améliorer les modes de consommation et la santé des membres  du foyer tout en permettant la réduction du travail domestique des femmes. L'autonomisation, notamment économique des femmes, améliore également la résilience de leurs foyers et de leurs communautés (23).

L’adaptation et la lutte contre le changement climatique ne sont cependant pas uniquement une opportunité pour les droits et femmes mais également pour combattre les  inégalités de genre existantes.

Crédit photo : ONU Femmes / Kennedy Okoth

Crédit photo : ONU Femmes / Kennedy Okoth

Un investissement écologique majoritairement féminin 

La conscience et l’investissement écologique sont majoritairement féminin.e.s. Le Pew Research Center publie une étude en 2015 qui avance que les femmes se sentent plus concernées et préoccupées par le changement climatique dans les pays développés étudiés (24). 

Cette inquiétude se traduit dans les pratiques par le fait que les hommes auraient davantage de comportements non écologiques : ils mangeraient plus de viande et dépenseraient davantage d’énergie que les femmes en voyageant, en consommant du tabac et l’alcool ou encore en conduisant de plus longues distances (25). La différence d’investissement et de priorisation de la thématique écologique s’observe aussi dans les tendances électorales : deux fois plus de femmes françaises (17%) que d’hommes (9%) ont voté pour le parti “vert”, EELV aux élections européennes. (26)

Comment expliquer cette investissement plus marqué des femmes en matière d’écologie ? 

Un premier axe de réponse réside dans les stéréotypes de genre encore diffus dans nos sociétés : les comportements écologiques seraient associés au féminin par les femmes et les hommes. Une étude publiée dans le Journal of Consumer Research montre que les hommes se sentiraient davantage féminins, efféminés même, lorsqu’ils adoptent des comportements éco-responsables, comme utiliser un sac en toile plutôt qu'en plastique pour ses courses. Ils seraient alors susceptibles, pour mettre en avant leur virilité, d’adopter des comportements anti-écologiques. (27)

Un autre peut être celui de la socialisation genrée différenciée : on apprend davantage aux femmes à être altruistes, ce qui pourrait expliquer cet écart de responsabilité écologique (28). La répartition sexuée traditionnelle du travail s’ajoute à cela : les femmes sont traditionnellement responsables du “care” (activités liées au soin des autres) et du travail domestique (29). Il n’est pas question ici d’une sensibilité plus “naturelle” ou d’une proximité des femmes à la nature mais bien des conséquences d’une éducation et organisation genrée, différenciant femmes et hommes. 

C’est enfin parce qu’elles sont les premières à subir les conséquences du changement climatique et de l’altération des écosystèmes qu’elles s’investissent dans ce domaine. 

En quoi consiste l’engagement écologique individuel ? Il s’agit au quotidien, dans la sphère privée, d’adopter une consommation et des habitudes plus respectueuses de l’environnement. Cela signifie une augmentation notable de la charge de travail domestique quotidien afin de limiter sa consommation d’énergie, ou d’adapter son alimentation. Cette adaptation du mode de vie induit un moindre recours à des progrès techniques et des produits transformés présents sur le marché depuis quelques dizaines d’années (30. 

Le risque de l’augmentation de la charge mentale et morale (31)

Comme expliqué ci-dessus, le travail domestique est marqué par la division sexuée du travail, les femmes en étant traditionnellement chargées. Les femmes réalisent encore trois fois plus de soins non rémunérés et de travaux ménagers que les hommes (32). En Afrique du Nord et en Asie occidentale, cet écart peut être de six fois supérieur (33).

Ce tournant écologique au quotidien peut se traduire par une augmentation de l’exploitation des femmes en termes de travail non rémunéré et peu valorisé tout en étant coûteuses en temps et en énergie. Le risque est une reproduction accrue d’une division sexuée du travail en défaveur des femmes (34).  

Le risque pour les femmes est très concret : il s’agit d’un renvoi dans la sphère domestique au nom de l’écologie dénoncé par Isabelle Saporta, journaliste et chroniqueuse, si les femmes abandonnent leur activité professionnelle pour s’adonner à ces pratiques (35). Cela se compose à la fois d’une augmentation de la charge mentale organisationnelle (temps et énergie passé.e.s à s’adapter aux nouveaux enjeux) - pointée du doigt par la dessinatrice Emma (36) notamment - une augmentation de la charge de travail domestique (réalisation des tâches) et de la charge morale (responsabilisation et culpabilisation par l’impératif écologique) (37). 

L’engagement écologique consiste aussi en un privilège pour les personnes les plus aisées. En effet, toutes les femmes n’ont pas les mêmes disponibilités temporelles, les mêmes moyens financiers et le même accès à l’information. De plus, l’engagement individuel au quotidien ne peut pas remplacer l’avancement collectif au moyen d’actions coordonnées et internationales. 

C’est donc l’égalité femmes-hommes au sein des enjeux écologiques de lutte contre le changement climatique qu’il s’agit de penser, afin que les deux combats soient menés de pair et n’oublient pas les autres. 

Lorelei Colin


(1)  https://www.unwomen.org/en/digital-library/multimedia/2017/11/photo-climate-change 

(2)  FIDA, The Gender Advantage Women on the front line of climate change, 2014

(3)  https://www.unwomen.org/en/news/stories/2017/9/experts-take-dilruba-haider 

(4) FAO, Tackling climate change through rural women’s empowerment 

(5) https://www.unenvironment.org/news-and-stories/story/integrating-gender-ecosystems-management

(6) Les femmes, actrices de la lutte contre le dérèglement climatique, 2015, Tous ensemble pour le Climat 

(7) https://www.unwomen.org/en/digital-library/multimedia/2017/11/photo-climate-change 

(8) https://www.unwomen.org/en/news/stories/2017/12/from-where-i-stand-farmala-jacobs

(9) https://www.unenvironment.org/news-and-stories/story/integrating-gender-ecosystems-management

(10) https://onu.delegfrance.org/Les-femmes-actrices-indispensables-dans-la-lutte-contre-le-rechauffement

(11) Rapport "Femmes et Climat" de Ségolène Royal pour la COP 21 https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwiehsnH8OLpAhUEzoUKHbu1DrIQFjACegQIAhAB&url=https%3A%2F%2Fwww.ecologique-solidaire.gouv.fr%2Fsites%2Fdefault%2Ffiles%2F20161107_Rapport%2520Femmes%2520et%2520Climat_FR.pdf&usg=AOvVaw24NwlVThfcYuhXexCFrYsh

(12)  Les femmes, actrices de la lutte contre le dérèglement climatique, 2015, Tous ensemble pour le Climat

(13) https://www.unenvironment.org/news-and-stories/story/integrating-gender-ecosystems-management

(14) Les femmes, actrices de la lutte contre le dérèglement climatique, 2015, Tous ensemble pour le Climat

(15) https://www.unenvironment.org/news-and-stories/story/integrating-gender-ecosystems-management

(16) Le Monde selon les femmes, Plaidoyer pour le genre dans les négociations climat-environnement, 2012

(17) https://usbeketrica.com/article/plus-femmes-decisions-plus-environnement-preserve

(18) Rapport "Femmes et Climat" de Ségolène Royal pour la COP 21

(19)  https://www.unwomen.org/en/news/in-focus/women-and-the-sdgs/sdg-13-climate-action

(20) https://www.genreenaction.net/Comment-evaluer-l-empowerment-des-femmes.html

(21)  https://www.unenvironment.org/explore-topics/gender/what-we-do/network-african-women-environmentalists-nawe 

(22) OAA, La situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture : le rôle des femmes dans l’agriculture, combler le fossé entre les femmes et les hommes pour soutenir le développement, 2010-2011

(23)  Les femmes, actrices de la lutte contre le dérèglement climatique, 2015, Tous ensemble pour le Climat

(24) https://www.pewresearch.org/fact-tank/2015/12/02/women-more-than-men-say-climate-change-will-harm-them-personally/

(25) https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0301421509005977

(26)  https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/gilets-jaunes/europeennes-comment-ont-vote-les-francais_3462711.html

(27) https://usbeketrica.com/article/l-ecologie-un-truc-de-bonne-femme

(28) https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/1540-6237.00088 

(29) https://www.cairn.info/revue-champ-psy-2010-2-page-161.html

(30) L’engagement écologique au quotidien a t’il un genre? Michèle Lalanne and Nathalie Lapeyre https://www.erudit.org/en/journals/rf/2009-v22-n1-rf3334/037795ar.pdf

(31)  https://podcast.ausha.co/je-fais-de-mon-mieux/la-charge-mentale-et-la-charge-morale

(32) Rapport du Secrétaire Général, pag 25. V.  https://undocs.org/en/E/CN.6/2020/3

(33) Ibid.

(34) L’engagement écologique au quotidien a t’il un genre? Michèle Lalanne and Nathalie Lapeyre

(35) https://www.marianne.net/societe/quand-lecologie-renvoie-les-femmes-la-maison

(36) https://www.franceinter.fr/societe/pour-emma-la-charge-mentale-liee-au-recyclage-repose-sur-les-femmes-et-les-empeche-de-s-engager

(37)  http://www.slate.fr/story/180714/ecologie-feminisme-alienation-charge-morale