Quel avenir pour les droits des femmes après le Grenelle des violences conjugales ?

Le 25 novembre dernier, le gouvernement clôturait les travaux du Grenelle des violences conjugales. À cette occasion, ONU Femmes France et le Barreau de Paris ont organisé un colloque : “L'après-grenelle : le temps de l'action, les professionnels au droit aux avant-postes”. L’objectif de ce dernier était de réunir différent.e.s actrices et acteurs, dans le but de parvenir à des solutions contre les violences à l’égard des femmes. 

“Après le temps politique, vient le temps de l’action”. C’est ainsi, que Valence Borgia, Membre du conseil de l’ordre de Paris présente les ambitions de ce colloque, organisé par le Barreau de Paris et ONU Femmes France, le 25 novembre dernier, à l’Auditorium de la Maison du Barreau. 

En effet, à l’heure où une femme meurt, tous les deux jours, sous les coups d’un de ses partenaires intimes, il est impératif de consolider nos lois et les moyens de prévention pour lutter efficacement contre les violences faites aux femmes. C’est dans cette optique, que plusieurs actrices et acteurs du droit ou encore des milieux judiciaires et associatifs, ont partagé leur expérience et les difficultés qu’ils ont pu rencontrer sur le terrain.

S’investir et éviter la “loterie”

© Sabrina Alves 2019

© Sabrina Alves 2019

Invitée pour inaugurer le colloque, Laurence Rossignol, sénatrice et ex-ministre des Droits des femmes, a tenu à orienter son discours sur la condition actuelle des femmes victimes de violences conjugales et sur les différents moyens mis en place par les instances françaises. 

Ayant suivi de près la clôture des travaux du Grenelle des violences conjugales - qui s’est tenue plus tôt dans la journée - l’ancienne ministre des Familles, de l’Enfance et du Droit des Femmes a souligné un manque de considération envers les forces militantes. “Ce matin, j’ai écouté le Premier ministre et j’ai trouvé qu’il manquait une phrase pour saluer la magnifique manifestation de samedi (le 23 novembre dernier, NDLR). Au lieu de voir ces femmes, ces hommes et ces associations comme une menace, il devrait s’en inspirer et en faire un point d’appui. La loi de l’IVG n’a pas été obtenue par la magie du Président de la République et par une formidable Ministre de la Santé*, qui se sont dit un matin qu’il fallait la légaliser. Cette loi a été gagnée par la forte mobilisation des associations, dans les années 70”.

Laurence Rossignol a également critiqué le discours répétitif du gouvernement, qui ne fait guère évoluer les choses depuis des années. “Dans son discours, le Premier ministre a indiqué que le gouvernement allait mettre en place des ateliers d’information autour de l’égalité femmes-hommes dans les lycées. Au lieu de répéter ce qui a déjà été validé dans les lois de 2010 et de 2013, j’aurais préféré que le gouvernement admette que la moitié des établissements scolaires n’ont pas les moyens d’assurer ces cours de sexualité et d’égalité et que de ce fait, l’état décide de mettre plus de moyens financiers sur ce projet”.

Après avoir réagi au bilan d’Edouard Philippe, Laurence Rossignol a souhaité analyser la situation auprès des autres actrices et acteurs de la lutte contre les violences faites aux femmes. Souvent sollicitée par les victimes de violences conjugales, l’ex-ministre, s’est tout d’abord adressée aux avocat.e.s présent.e.s à ce colloque. “Souvent, quand ces femmes viennent à moi, je leur demande si elles ne sont pas suivies par un.e avocat.e. Soit elles me répondent d’un air exaspéré que leur avocat.e est très gentil.lle mais qu’il.elle fait ce qu’il peut, soit qu’il.elle n’est jamais disponible. Je sais que vous avez des journées bien remplies, qu’il y a beaucoup d’affaires à traiter et que ce n’est pas toujours avec des divorces et de la violence conjugale que vous parvenez à payer votre loyer et à faire tourner votre cabinet, mais la plupart du temps, vous êtes le seul recours pour ces femmes. Soyez donc à la hauteur de ce qu’elles attendent de vous !” - adresse-t-elle fermement. 

D’après la sénatrice, ce manque de considération pour les victimes est présent à chaque étape du processus de dénonciation des violences.“La vie d’une femme victime de violences est une loterie ! Tire-t-elle le bon numéro quand elle va arriver au commissariat ? Aura-t-elle le bon agent ? Sera-t-elle accueillie au bon moment, quand l’assistant.e social.e sera présent.e ? Et même si elle a eu de la chance - et qu’elle a réussi à parler avec un.e assistant.e social.e - elle devra de nouveau jouer à la loterie lorsqu’elle devra aller au parquet, ou devant le juge des affaires familiales (ou JAF, NDLR)”, exprime-t-elle avec beaucoup de regrets.

Face à cette problématique, la politicienne a la ferme conviction que le seul moyen d’engager sérieusement les actrices et acteurs de lutte contre les violences faites aux femmes, c’est de créer un système de justice spécialisée. “D’une part, ce nouveau système permettrait d’avoir de vrais experts pour les victimes, et non pas des personnes qui sont non formées, désintéressées ou anti-féministes. D’un autre côté, bénéficier d’une justice spécialisée renforcerait le travail en réseauconclut-elle.

Des petites mains pour de petits moyens

© Sabrina Alves 2019

© Sabrina Alves 2019

Après que Laurence Rossignol ait mis en lumière certaines des défaillances faites par le système, envers les victimes de violences conjugales ; plusieur.e.s actrices et acteurs du barreau, de la police ou encore du milieu associatif sont venu.e.s relater leur expérience réelle de terrain. 

Elisabeth Moiron, secrétaire générale de la Mission Interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF)**. Depuis la création de la structure en 2013, de nombreux kits pédagogiques et des fiches réflexes ont été distribués aux professionnels tels que les médecins, les avocat.e.s, ou encore les magistrat.e.s.  “Malheureusement, j’ai l’impression de ne pas avancer. La cause des violences faites aux femmes est une lutte de tous les jours. Même si la formation aide à progresser, ce n’est pas suffisant ! Pour que les choses évoluent, il faut être le plus volontariste possible. Nous, professionnel.le.s du droit, devons avoir une réelle prise de conscience”, appuie-t-elle. Ces propos, similaires à ceux de l’ancienne Ministre des Droits de femmes, fait réagir Valence Borgia, modératrice de la table-ronde, qui se tourne alors vers Gaétan Alibert, gardien de la Paix Mission de Prévention, de Contact et d’Écoute, et Céline Giroud, Brigadier de Police, également cheffe de la Brigade Locale de Protection de la Famille, tous deux au du Commissariat du 20e arrondissement de Paris, pour les interroger sur les actions de la police sur le terrain, elle “qui est, si souvent pointée du doigt”. 

“Je fais partie d’un service assez polyvalent. Nous sommes quatre fonctionnaires et nous sommes souvent confrontés aux violences faites aux femmes. C’est assez compliqué pour notre petit service, car nous sommes extrêmement sollicité.e.s pour faire des interventions chez nos partenaires (écoles, bailleurs, syndicats), et il n’est pas évident de trouver du temps, des moyens ou encore de l'énergie pour tout le monde” répond avec franchise, le gardien de la Paix Mission de Prévention, de Contact et d’Écoute. Malgré ces aveux, Gaétan Alibert a tout de même soutenu que son service essayait de travailler le plus possible en réseau. “Il y a quelques années, un de mes collègues a réalisé une intervention dans une école du quartier. À la fin de son atelier, une jeune fille est allée lui parler pour lui dire que sa mère était victime de violences conjugales, et que quand la violence se produisait, son beau-père la faisait dormir dans les toilettes. Face à cette confession, nous avons pris contact avec notre réseau. Nous voulions entendre la mère, mais elle ne voulait pas parler. Du coup, avec l’aide de l’école, nous avons pu la faire venir à un entretien avec l’assistante sociale scolaire. Nous avons pris contact avec ma mairie pour qu’elle nous aide à trouver une solution d’hébergement d’urgence. Nous avons réussi à les reloger. La jeune fille et la mère sont restées en contact avec mon collègue. En prenant des nouvelles de la jeune fille, mon collègue a appris que cette dernière était dans des conduites à risques liées notamment aux stupéfiants. Je vous raconte cela pour vous dire que même si on a réglé un problème à l’époque, la séquence perdure. Une seule action ne suffit pas pour régler la situation, il y a vraiment un suivi à avoir, car ces violences persistent dans les familles bien longtemps après le drame”, illustre-t-il en exemple. 

De son côté, Céline Giroux dénonce un manque de moyens au niveau du traitement des plaintes. “Nous avons beaucoup de difficultés face à l’afflux des plaintes. Nous n’arrivons plus à les traiter en temps et en heure et il faut sans cesse se réorganiser”, reconnaît-elle. Sans doute, une des raisons qui l’a poussée à faire intervenir une assistante sociale et une psychologue dans son commissariat. Parfois, il arrive que les femmes victimes de violences, n’osent pas parler ou ne savent pas comment le faire. C’est dans ces moments-là que l’on fait intervenir un.e psychologue, puis un.e assistant.e social.e qui va aider la victime à trouver des solutions. Cela aide beaucoup notre équipe”, ajoute-t-elle. Les interventions des deux forces de l’ordre, ont eu pour effet de faire réagir Jérôme Bertin, président du réseau France Victimes*** , sur la situation du secteur associatif, qui “ne dispose d’aucun moyen financier, si ce n’est celui donné par les les fondations (...). Pour pouvoir doubler nos recrues et nos efforts, il faut que l’état nous propose un budget”

Emmanuelle Rivier, avocate et adjointe à la maire du 20e en charge de l’égalité femmes-hommes de l’Accès au droit et à la Vie associative, évoque, quant à elle, une insuffisance de la justice : “Récemment, j’ai suivie une cliente. Son conjoint était violent avec elle et son enfant en bas âge. Nous avons engagé une procédure d’ordonnance de protection. Le jour où l’ordonnance a été attribuée, le conjoint de ma cliente s’introduit dans le domicile et a emporté la moitié des meubles. Heureusement que ma cliente n’était pas là. Suite à cela, ma cliente, complètement terrorisée, a décidé de quitter son domicile, alors que celui-ci lui avait été attribué. Elle va voir la police et ces dernier.e.s lui expliquent que pour le moment, il n’est pas possible de porter plainte. Elles.Ils lui conseillent de déposer une pré plainte en ligne. Elle l’a fait et rien ne s’est encore passé. C’est une situation assez grave. Les autorités ne sont pas compétentes. Cette femme est en attente alors qu’elle est dans une situation d’urgence. Rien ne dit que son conjoint ne va pas revenir au domicile familial.”

Vers une reconnaissance des féminicides dans la loi ?

© Sabrina Alves 2019

© Sabrina Alves 2019

Face à ces difficultés exposées, une question se pose : “Faut-il inscrire le féminicide dans le Code pénal ?”. Si la procureure de la République du parquet d’Auch, Charlotte Beluet, est la première magistrate à avoir employé le terme “féminicides” dans la communication publique, elle est cependant contre son inscription dans le Code pénal. Communiquer publiquement sur les féminicides, c’est faire le contrepoids face aux discours autours du crime passionnel, souvent utilisés, comme pour justifier un trop-plein d’amour de l’auteur du crime. Néanmoins, je distingue cette communication, à ce qui doit être dans le code pénal. À mon sens le terme féminicide pose problème. D’une part, quand il s’agit d’un crime sur conjoint, l’homme ne tue pas sa femme parce qu’elle est une femme, mais parce que c’est SA femme. Cette situation est donc liée à une relation de possession. En plus de cela, à l’heure où nous devons travailler sur l’émancipation de la femme, cela place la femme dans une posture de victime. D’autre part, inclure ce terme dans le Code pénal, c’est oublier les enfants - aussi impacté.e.s par les violences conjugales -  les nouvelles formes de familles (couples LGBTQI+, NDLR), mais aussi les facteurs de passage à l’acte tels que l'alcoolisme, la souffrance psychologique, etc. Au lieu d’employer le terme “féminicide” dans le Code pénal, il faut parler d’homicides conjugaux”, assure la procureure. 

De son côté, Mar Merita Blat, Vice Présidente d’ONU Femmes France au moment du colloque, a défendu la reconnaissance de la spécificité de ce crime dans la loi, notamment à travers la proposition d’un plaidoyer en faveur de la reconnaissance pénale du féminicide au droit français. “Lors de la création de ce document, nous sommes parti.e.s sur les constats suivants : à ce jour, il n’existe pas de décompte officiel sur les féminicides intimes et non intimes. (Malgré sa rigueur, le travail de l’association, Féminicide par compagnon ou ex n’a pas été officialisé, NDLR) Dans la définition que nous avons donné au terme “féminicide”, nous avons souhaité aller au-delà des meurtres intimes, en incluant également la violence de rue et le meurtre dans un cadre massif -

- en référence notamment à la Tuerie de l'École polytechnique de Montréal, en 1989 - qui sont aussi des féminicides ”. Une des raisons qui a poussé ONU Femmes France à proposer, avec une coalition d’association, l’utilisation de deux définitions, une juridique et une autre plaidoyer. La définition juridique est la suivante : “Le meurtre d’une femme et/ou d’une fille du fait d’être une femme ou une fille, ou d’être perçue comme telle”. La définition plaidoyer caractérise, quant à elle, le féminicide comme “le meurtre, intime ou non-intime, d’une femme ou d’une fille, comme expression d’une dominante masculine, patriarcale, et d’une volonté d’emprise.

Si Mar Merita Blat partage en partie l’avis de Charlotte Beluet, sur le fait que tout assassinat de femme n’est pas un féminicide, et que les violences peuvent aussi être présentes dans les “nouvelles formes de familles”, elle juge tout de même important d’intégrer le terme dans le Code pénal. “Nous avons tenté de faire une analyse des risques et ils sont nombreux : d’une part, le droit actuel est insuffisant, il n’arrive pas à répondre à tout. Même si on peut difficilement judiciariser un terme restreint au langage courant, le droit doit pouvoir avancer en répondant à la demande sociale et donc à des crimes qui ne sont pas, aujourd’hui, couverts et qui sont difficilement qualifiables. D’autre part, il y a également le fait que depuis 1992, les meurtres spéciaux ont été supprimés du Code pénal. Or, il y a aujourd’hui des circonstances aggravantes qui reprennent ces meurtres spéciaux. Enfin, même si le meurtre d’une femme ne doit pas être plus grave que celui d’un homme, il faut reconnaître que les meurtres de femmes commis pour le fait que les victimes soient des femmes sont des crimes que seules les femmes connaissent. Cela crée à mon sens, une inégalité dans la loi et donc une absence de neutralité du droit.”, conteste la Vice-présidente.

Françoise Brié, représentante en France du Groupe d'experts sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (GREVIO) et directrice de la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF), se montre, quant à elle, plus réservée quant à la position du GREVIO, qui ne s’est pas encore prononcé sur la question.

Sabrina Alves

*Il s’agit, ici, de Valéry Giscard d'Estaing et de Simone Veil.

** La MIPROF a été créée par le décret n°2013-07 du 3 janvier 2013 sous l’autorité de Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes de l’époque. C’est une structure qui a pour objet “de rassembler, analyser et diffuser les informations et données relatives aux violences faites aux femmes ; de favoriser l’animation des acteurs publics et privés intervenant dans la lutte contre les violences faites aux femmes ; et de définir un plan de sensibilisation et de formation des professionnels sur les violences faites aux femmes en lien avec les ministères et les acteurs concernés”.

*** France Victimes est une fédération qui “développe l'aide et l'assistance aux victimes, les pratiques de médiation et toute autre mesure contribuant à améliorer la reconnaissance des victimes”. Cet organisme est composé de 130 associations d'aide aux victimes.