Marine Spaak : « Ce n’est pas parce que quelque chose est habituel que c’est normal ! »

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Découverte grâce à son blog, « Dans mon Tiroir », la dessinatrice féministe, Marine Spaak, a récemment publié sa première BD. Intitulé Sea, Sexisme and sun – chroniques du sexisme ordinaire, cet ouvrage analyse les différentes situations sexistes dont sont victimes les femmes au quotidien. Rencontre. Par Sabrina Alves

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Onu Femmes France : Comment est né votre projet, Sea, Sexisme and sun – chroniques du sexisme ordinaire ?

Marine Spaak : Quand j’ai lancé mon blog, j’avais l’idée de publier un recueil avec l’ensemble de mes illustrations, mais je ne savais pas du tout comment m’y prendre. Lorsque je dessinais pour le magazine, Femmes Plurielles, une éditrice des Editions First, m’a contactée pour me proposer de publier une BD sur le sexisme ordinaire. L’objectif était de faire paraître près de 70 % de contenus inédits. Sur les 12 chapitres de la BD, huit sont donc nouveaux, et deux sont issus de ma collaboration avec Femmes Plurielles.

O.F.F : Quelles ont été les difficultés rencontrées lors de la réalisation de ce livre ?

M.S : L’un des principaux obstacles que j’ai rencontrés, c’est la gestion du temps. Lorsque j’ai commencé à écrire mon livre, je venais d'être recrutée à temps partiel. Les jours où je ne travaillais pas, je me concentrais sur mon livre. Ce n’était pas évident, car les délais étaient assez courts : mon éditrice souhaitait que le livre paraisse à la fin de l’été 2019. Nous avons trouvé quelques compromis – par exemple en passant à un format en 12 chapitres au lieu de 15.

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O.F.F : Que raconte votre bande dessinée ?

M.S : La particularité de mon livre, c’est qu’il est pédagogique : chaque chapitre aborde une facette différente du sexisme ordinaire. Ce dernier est tellement banalisé dans la vie de tous les jours qu’on l’accepte sans se poser de questions. Avec ce livre, je veux dire que ce n’est pas parce que quelque chose est habituel, que c’est normal. Il faut garder l’esprit critique !

Je qualifie d’ailleurs mon livre d’intime et politique, car j’y traite à la fois des sujets très personnels comme sociétaux. D’un côté, j’aborde des thématiques comme le rapport au corps, la beauté, le couple, ou encore le désir ; et de l’autre, des questions liées à la représentation des femmes dans le langage, dans la culture populaire ou dans l’espace public.


O.F.F : A quel type de lectorat s’adresse-t-il ?

M.S : Lorsque j’ai conçu mon livre, je me suis fixé un double objectif : d’abord, je voulais que ce soit un livre avec du contenu, suffisamment détaillé pour que des personnes qui soient assez spécialisées, puissent y apprendre beaucoup de choses. Puis, je souhaitais le rendre assez accessible et rigolo pour que des personnes, qui à l’inverse, ne sont pas forcément sensibles et/ou intéressées par le sujet puissent être captivées par la lecture.

La plupart de mes lectrices ont entre 20 et 40 ans, mais le livre peut tout à fait être accessible pour un adolescent ou une adolescente, à partir de 13 ans. Il s’adresse aussi aux hommes.

O.F.F : Quels sont les retours que vous avez eus sur votre travail ?

M.S : Je reçois beaucoup de jolis messages sur les réseaux sociaux. J’ai discuté avec certaines personnes qui avaient lu mon livre, et elles m’ont confié que Sea, Sexisme and sun – chroniques du sexisme ordinaire, leur fait en quelque sorte, se sentir moins coupables de ne pas avoir envie de se maquiller, de s’épiler, de faire un régime, ou encore de ne pas vouloir d’enfant ou de ne pas ressentir le besoin d’être en couple. Au fil de mon parcours, j’ai aussi reçu quelques retours négatifs : récemment un youtubeur a essayé de déconstruire les arguments que je donnais sur le masculinisme. Heureusement, ces messages-là sont moins nombreux et globalement je suis très contente des retours de mes lecteur.rice.s, ainsi que des rencontres lors des salons littéraires.

O.F.F : Quels rôles doivent jouer l’éducation, le gouvernement, et les médias pour lutter efficacement contre le sexisme ordinaire ?

M.S : Je pense que l’un des enjeux principaux sur l’éducation, c’est les stéréotypes de genre. En effet, c’est à cause de ces derniers, que les jeunes filles développent un syndrome de l’imposteur (il s’agit d’une forme de doute maladif qui consiste principalement à nier la propriété de tout accomplissement personnel, NDLR) et n’osent pas faire carrière dans certains secteurs de peur d’être trop « nulles ». Pour que les élèves soient traité.e.s de la même manière, l'éducation doit donner aux jeunes filles des perspectives, qui jusque-là, ne leur étaient pas permises, parce qu’on estimait que ce n’était pas assez féminin. Je pense que l’éducation doit également faire tout un travail autour de la culture du viol : il y a encore beaucoup de personnes qui témoignent et ne sont pas prises au sérieux et ce, dès l’adolescence. 

Pour le gouvernement, je pense que l’enjeu est purement budgétaire. Pour les violences faites aux femmes, par exemple, de nombreux organismes existent. Le problème, c’est qu’il n’y a pas assez de moyens. 

Pour que l'opinion publique évolue, il faut que les médias développent des sujets féministes à part entière et insèrent un peu de féminisme dans la manière dont ils traitent leurs sujets. Si un média suit les gilets jaunes, ce serait intéressant que l’article nous fasse ressentir que les femmes prennent aussi part à ce mouvement et qu’il nous dise quelles sont leurs revendications, par exemple.

O.F.F : Lors de l’édition 2016 du Festival International de la bande dessinée d’Angoulême, les membres du Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme, ont dénoncé « l’invisibilisation » des femmes dans ce milieu. Face à cette problématique, que faut-il faire pour amener davantage les jeunes filles vers le milieu de la BD ?

M.S : A ce jour, il n’y aurait que 12 % de femmes dans la BD. C’est assez surprenant, car il y a énormément de femmes dans les écoles d’arts et très peu d'autrices dans ce milieu. Cela donne le sentiment que dans la BD, les femmes ne sont pas beaucoup soutenues par les maisons d’édition, les écoles, mais aussi leur entourage personnel. Je pense qu’il est compliqué – autant pour une femme que pour un homme – de réaliser un projet sur le long terme, si elle ou il n’est pas soutenu.e par une personne de son entourage personnel ou professionnel. C’est en étant valorisé.e – même lorsque l’on fait des erreurs -  que l’on a envie de faire mieux et de continuer. 

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Marine Spaak a reçu en 2016 pour « La mécanique sexiste » la mention spéciale du jury du concours “Ton Court pour l’Egalité”, un concours de courts-métrages organisé par ONU Femmes France, le Centre Hubertine Auclert et le Pôle Egalité Femmes-Hommes de l’Université Paris Diderot.